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de Mahmoud, les mosquées, le Sérail, le petit champ des morts, la Corne-d’Or, la tour du Séraskier, où j’arrivai, non sans éviter soigneusement de déranger une centaine de chiens dormant dans la boue, je terminai ma promenade par une halte au café. Là on me servit très peu de café et beaucoup de marc dans un vase sans pied, ayant plutôt la structure d’un coquetier que celle d’une tasse ; je fumai un chibouck aux sons discordans d’un orchestre composé de deux Turcs accroupis sur leurs mollets, et je ne me fis nullement prier pour rejoindre le bateau à vapeur qui devait me ramener à bord de ma chère Dévastation. Quelques voyageurs, à qui je confiai ma surprise et dont j’accepte volontiers le jugement, me firent cette réponse : « Si vous tenez à ce que Constantinople reste à vos yeux une ville somptueuse, passez devant, mais n’y mettez jamais les pieds. »

Après avoir vu Constantinople, je voulus en parcourir les environs et mettre ainsi à profit le temps pendant lequel la Dévastation et l’Albatros gorgeraient leurs flancs de la houille indispensable pour atteindre Kamiesh. Nous partîmes du bord au petit jour, la gibecière au dos et le fusil sur l’épaule, suivis d’une chienne de chasse répondant au nom de Flore. Nous gravîmes une rue montueuse, pavée, à l’imitation de celles de Constantinople, d’un caillou anguleux et tranchant, véritable pierre à fusil recouverte de place en place de fumiers et de détritus nauséabonds. À l’extrémité de ce chemin, nous trouvâmes la riche et splendide vallée du Grand-Seigneur, plantée d’arbres séculaires dont les troncs creux servent tour à tour de salon, de chambre à coucher et de cuisine aux pâtres et aux bouviers des environs. Dans cette vallée, sur le gazon soyeux des pâturages que nous traversions, avait séjourné un camp de cavalerie : des écuries nombreuses, élevées à l’abri des ombrages d’une longue arcade de verdure, existaient encore. Hommes et chevaux durent respirer dans cette résidence champêtre un air bienfaisant qui efface bien des fatigues. Il ne restait jouissant de ce beau site qu’un hôpital militaire, au pied duquel passaient les eaux claires et toujours mobiles d’une étroite rivière. Le jardin, écrasé sous le poids des fruits, contourné par de ravissantes avenues, donnait envie de tomber malade, rien que pour habiter une couple de mois ce séjour asiatique.

Durant deux heures, nous suivîmes le cours sinueux de la rivière, ne songeant guère au gibier absent, et très préoccupés des admirables collines, des vastes pelouses, qui formaient autour de nous le plus splendide paysage. Les détours capricieux de la rivière, dont le lit resserré dégénérait en ruisseau, se perdaient parfois dans des taillis épais où des buissons animés par des nuées de brillans oiseaux, parfois aussi entre deux haies de sapins, de hêtres et de