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pour visiter la ville. Ces promenades que les Français ne craignent pas de faire en plein soleil étonnent beaucoup les Espagnols, qui nous comparent assez peu courtoisement à la race canine toujours errante. Pour moi, sans me soucier beaucoup des railleries auxquelles je m’exposais, je descendis seul à terre. J’avais espéré rejoindre quelques officiers qui connaissaient Cadix, mais je n’aperçus personne. Mon air préoccupé, ma démarche hésitante attirèrent l’attention de plusieurs hommes étendus à l’ombre d’une toile sous laquelle se prélassaient des melons énormes, des pastèques au cœur frais et rose, et des pyramides de fruits. Après s’être dit quelques mots, ils se levèrent, et l’un d’eux vint à ma rencontre. Il m’offrit en très bon français d’être mon guide, « jugeant, disait-il, que j’entrais dans Cadix pour la première fois. » C’était un homme d’une cinquantaine d’années, petit et maigre ; sa figure décharnée était hérissée de poils gris menaçans. Sa mise assez malpropre ne pouvait appartenir qu’à une classe peu choyée de la fortune. Il portait un chapeau rond à larges bords, une veste ronde en étoffe de laine ayant aux manches des trous qu’on eût pu prendre, — l’imagination aidant, — pour des crevés a l’espagnole, et une culotte soutenue par une ceinture rouge. Sa chemise ouverte laissait voir sa poitrine velue. J’acceptai sa proposition, et le suivis sans lui demander où il allait me conduire, et sans qu’il se préoccupât de ce que je désirais visiter.

Je n’ai point l’intention de promener le lecteur à travers Cadix, de décrire ces belles maisons, blanches comme des vierges, qui ont toutes de gracieux balcons surmontés d’un vitrage orné de stores de toutes couleurs, ces rues étroites, propres et bien alignées, mais complètement désertes. Une seule de ces maisons, d’assez belle apparence, me fut particulièrement désignée par mon guide. Le balcon était soutenu par deux têtes d’ange. « De ce balcon, me dit mon cicérone, il y a dix ans à peu près, s’élevait chaque jour vers Dieu une voix harmonieuse comme celle du rossignol, fraîche et pure comme la brise. Rosario était là, elle travaillait et chantait avec l’insouciance d’un cœur de seize ans. » Ce début me paraissait bien vulgaire, mais je ne jugeai pas à propos d’interrompre mon guide, qui, croyant trouver en moi un auditeur attentif, me raconta avec une prolixité toute méridionale l’histoire dont voici en quelques mots le résumé.

Chaque soir, sur la place de la Constitution, à Cadix, un orchestre militaire fait entendre les plus délicieuses symphonies. Le père de Rosario, honnête banquier, figurait, il y a quelques années, parmi les auditeurs les plus assidus de ces concerts quotidiens, et on le voyait presque régulièrement venir s’asseoir avec sa fille sur