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se rappelle avec orgueil que son père, lui aussi, faisait partie de la grande armée. Venaient ensuite des jeux d’adresse, des tirs d’arbalète où le tireur, à chaque coup de noir, se trouve, honneur insigne, salué d’un coup de pistolet, des jeux de quilles et de petits palets où, de mémoire d’homme, l’on n’a jamais gagné la fabuleuse montre d’argent offerte en prime à l’adresse des amateurs; enfin, sous l’œil de l’autorité, manœuvraient de véritables roulettes où la passion du ponte ne trouvait, il est vrai, d’autre aliment qu’une mise de cinq centimes et un lot d’une douzaine de macarons. Nous terminerons ce croquis en parlant pour mémoire d’un mât de cocagne de hauteur respectable et complètement dépouillé des couronnes, rubans tricolores, montres d’argent et autres agrémens qu’il portait orgueilleusement dans la matinée à son faîte.

La foule était nombreuse et gaie, mais d’une gaieté décente qui ne sortait pas des limites de la grosse plaisanterie et du franc éclat de rire. Aussi se sentait-on dans ses rangs comme le cœur à l’aise, et tout disposé à prendre part à cette joie populaire, car elle n’était pas accompagnée de cris avinés ou de rixes tumultueuses; tout en un mot, dans l’assemblée, révélait une de ces nobles populations de campagne que l’étranger envie à la France, car elle lui donne ses meilleurs soldats, et se contente honnêtement d’un pain honnêtement acquis. C’était surtout autour du bal champêtre que la foule se pressait en frétillant aux accens d’un orchestre qui jetait aux échos les mélodies populaires du Pré aux Clercs et du Domino noir. Le quadrille était nombreux; des habits élégans, des toilettes d’une perfection parisienne coudoyaient des vestes rondes et des robes de grosse toile. Là l’observateur pouvait passer une heure de contemplation bien employée, car la terpsychore française s’y reproduisait dans toutes ses variétés. Ici un Parisien glissait à petits pas, ni plus ni moins que s’il se fût trouvé dans les salons du noble faubourg. Là un brigadier de la garnison esquissait des entrechats d’une hardiesse toute militaire; plus loin un bon gros villageois, religieux disciple d’un Vestris à cinq sous le cachet, s’essayait à vaincre les difficultés d’un pas de zéphir, tandis que son vis-à-vis, groom du château, donnait à entendre par quelques gestes discrets que, s’il n’était pas retenu par la présence de son maître, il pourrait bien s’élever à une chorégraphie plus avancée.

Une fois pied à terre, les deux jeunes gens dirigèrent leurs pas vers le centre des plaisirs, et se trouvèrent bientôt en présence d’un vieillard qui n’était pas le personnage le moins singulier de cette foule, et que Cassius salua de ces mots : — Baron, mes très humbles respects.

Le personnage ainsi interpellé avait passé la soixantaine; il était