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presque certains exigeaient cependant, chez les officiers de cette époque, une trempe plus vigoureuse qu’on n’est tenté de le supposer lorsqu’on juge les événemens à cinquante ou soixante ans de distance. Tel homme qui jouerait peut-être un rôle très brillant dans une guerre régulière eût été fort peu disposé, j’en suis convaincu, à courir les hasards que, pendant vingt ans, mes camarades et moi nous n’avons pas hésité à braver. Que demain de pareilles épreuves se présentent, ou qu’il faille affronter seulement la moindre des chances que nous avions alors contre nous, c’est-à-dire une choquante inégalité dans les forces respectives des deux marines, et l’on comprendra mieux ce qu’ont dû les capitaines de la république et de l’empire à la rude éducation que, pour la plupart, ils avaient reçue. L’histoire de leurs campagnes obtiendra aussi plus de sympathie. Malgré tout ce qu’une administration imprudente faisait pour la rebuter, la fortune ne nous fut pas toujours contraire. Quelques-uns des combats dont l’Angleterre elle-même a gardé la mémoire, ceux surtout qui se livrèrent dans les mers de l’Inde, suffisent à montrer ce qu’eût pu devenir la marine française sous un gouvernement qui lui eût accordé avec persévérance la sollicitude dont l’empereur, de 1806 à 1812, parut vouloir l’entourer.

Il y aurait donc intérêt à faire succéder au tableau d’une éducation maritime sous Louis XVI celui de nos croisières aventureuses sous la république. Il faudrait suivre plus tard sous l’empire une de ces frégates qui, dans des engagemens heureux, vengèrent l’honneur de notre marine, follement compromis dans des batailles où le triomphe était devenu impossible. Il faudrait enfin, pour bien comprendre cette époque, douloureuse sans doute, mais sous plus d’un rapport méconnue, se mêler un instant à la vie des escadres que l’empereur concentrait dans nos ports avec une prévoyance dont nous n’eussions pas tardé à recueillir le fruit. On embrasserait ainsi sous ses divers aspects la dernière marine qui ait fait en France une guerre sérieuse. C’est une tâche dont mes souvenirs me permettront, je l’espère, de m’acquitter un jour.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.