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de quartiers de noblesse, une illustration plus ou moins antique : il ne peut se passer des habitudes d’une bonne éducation. « Tout officier, disait très bien Nelson, qui n’est pas gentleman ne sera jamais qu’un médiocre officier. » L’ordre est en effet le premier besoin de notre service, et sans le sentiment des convenances, sans le respect de soi-même et des autres, sans cette dignité froide, mais indulgente, que l’officier doit puiser dans la conscience de sa supériorité, l’ordre à bord d’un bâtiment est impossible. Une autre nécessité de la marine, c’est d’être, si je puis m’exprimer ainsi, composée de parties homogènes. Nous avons été témoins, pendant les guerres de la révolution et de l’empire, des actions les plus héroïques ; nous avions en même temps à déplorer non pas seulement des fautes, mais de singulières faiblesses. On peut croire que notre époque ne présenterait plus ces choquantes dissemblances. Tous les officiers ont la même origine et le même esprit, s’ils n’ont pas tous les mêmes facultés. Il y a donc beaucoup de raisons pour que chaque capitaine dans une escadre puisse aujourd’hui compter sur son voisin. Dans toutes les affaires de quelque importance, c’est là le point essentiel. Sous ce rapport, nos divisions navales n’auraient rien à envier, j’en ai la conviction intime, aux escadres du bailli de Suffren ou du comte de Grasse, car les combats de l’Inde et celui de la Dominique, pendant la guerre de 1778, ne sont pas des combats où tout le monde ait été sans reproche. S’il y eut jamais lieu d’espérer pour la France, je ne dis pas une très grande marine, — nous mesurons avec trop de parcimonie nos sacrifices pour cela, — mais une marine à tous égards respectable, une marine vraiment faite pour honorer notre pavillon, c’est sans aucun doute au temps où nous vivons.

N’y a-t-il donc rien à regretter du temps passé ? N’y avait-il point dans les traditions dont le souvenir va s’évanouissant de jour en jour quelque bon exemple à chercher, quelque leçon fructueuse à retenir ? Pour se livrer avec quelque intérêt à cette étude, il ne faudrait pas être trop infatué de ce qu’on a fait et de ce qu’on vaut. Il faudrait avoir, avec l’ambition de grandir encore, la crainte salutaire de déchoir. Si l’on veut juger sainement de la situation présente, il convient de commencer par écarter des progrès que nous avons faits ceux qui sont communs à toutes les nations, car aucune marine de nos jours n’est restée au point où elle était il y a cinquante ans. Quand cette considération aura un peu dissipé chez nous les fumées de l’orgueil, nous nous trouverons probablement mieux disposés à prendre quelquefois conseil de l’expérience de nos pères. Nous nous demanderons si, dans cette ancienne marine si dédaignée, il n’y aurait point eu aussi par hasard quelques idées justes. Nous chercherons