Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Essington. Il finit cependant par céder à mes instances, et signa la lettre que, dans un premier mouvement d’indignation, je m’étais empressé de rédiger. Dans cette lettre, je me bornais à invoquer la garantie de neutralité donnée à notre expédition par tous les gouvernemens de l’Europe. Je rappelais à ce sujet la conduite de la France, qui, bien qu’elle fût en guerre avec l’Angleterre, n’en avait pas moins prescrit à tous ses bâtimens d’aider et de protéger le capitaine Cook, s’ils le rencontraient à la mer. En terminant, je mettais sous la responsabilité du commodore anglais les pertes qui pourraient résulter de la disposition que, par ses ordres, on venait de prendre.

Le commodore Essington voulut paraître offensé de cette démarche. Le lendemain, il vint à bord de l’Hougly accompagné de plusieurs des capitaines de la compagnie anglaise. Il fit appeler M. de Vénerville, l’apostropha d’un ton impérieux, et lui demanda ce que signifiait l’écrit qu’il avait reçu la veille. Le commodore Essington avait son chapeau sur la tête, M. de Vénerville tenait le sien à la main. Une pareille incartade, qui avait pour témoin, tout un équipage, me parut l’insulte la plus grossière. Je ne pus dominer mon émotion, et je m’approchai brusquement de M. de Vénerville : « Vous ne remarquez sans doute pas, lui dis-je, que vous représentez un contre-amiral français, et que vous n’avez affaire qu’à un simple capitaine de vaisseau qui oublie en ce moment les convenances et la politesse. » Tout en prononçant ces paroles avec une extrême vivacité, j’entraînai d’un autre côté M. de Vénerville et laissai le commodore stupéfait. Je lus facilement dans les regards de tous les spectateurs que ma juste susceptibilité était approuvée. L’incident n’eut pas de suite, et il ne fut plus question de la lettre envoyée par M. de Vénerville. Toutefois nos papiers et nos collections restèrent à bord du Sceptre. Ce ne fut qu’à la paix de 1802 que la France en obtint la restitution ; mais en même temps le gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud envoyait un détachement arborer le pavillon britannique à l’embouchure de la Derwent, dans la crainte, ajoute ingénument un des historiens de la nouvelle colonie, que les Français ne songeassent à s’y établir.

Le convoi hollandais une fois capturé ou hors d’atteinte, nous n’avions plus rien qui nous retînt sur la rade de Sainte-Hélène. La division anglaise fit donc route avec ses prises pour l’Europe. Nous étions depuis quinze jours environ à la mer, lorsque nous rencontrâmes un navire de commerce qui communiqua avec le vaisseau le Sceptre. J’ignore quelles nouvelles ce bâtiment donna au commodore Essington ; seulement dès le lendemain, quoiqu’il ventât beaucoup, que la mer fût très grosse et que la pluie tombât par torrens,