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beaucoup la température. Aussi la privation d’eau nous paraissait-elle de toutes nos misères la plus insupportable. J’en souffrais plus qu’un autre, par la raison que je ne buvais pas de vin. Continuellement en proie à une soif ardente, j’essayais de donner le change à ce besoin impérieux, en me servant d’un chalumeau pour absorber plus lentement ma ration, et atteindre ainsi le moment, attendu avec tant d’impatience, d’une nouvelle distribution. Si quelques gouttes de pluie venaient à tomber, on me voyait à l’instant accourir sur le pont avec toutes les bouteilles que je possédais ; mais ces bouteilles se remplissaient d’une eau qui, en passant sur le gréement, avait contracté un goût tellement acre, qu’elle avait cessé d’être potable. Elle produisait dans la gorge une irritation qui était bien loin d’apaiser la soif dont j’étais dévoré. Ce continuel état de souffrance m’inspira de mauvaises pensées. J’avais remarqué qu’en dehors du, couronnement, à cette partie du navire qui domine la poupe, nos naturalistes avaient fixé un appareil destiné à mesurer la quantité d’eau qui tombait dans l’espace de vingt-quatre heures. Cet appareil était fort simple : il se composait d’une bouteille placée sur un arc-boutant et surmontée d’un vaste entonnoir en fer-blanc dont la surface était calculée à l’avance. La tentation était trop forte ; j’y succombai, je l’avoue à ma honte. Plus d’une fois je saisis la fatale bouteille, la vidai d’une haleine, et la replaçai avec soin. Cette fraude ne fut connue de personne, car je me gardai bien de jamais m’en vanter. J’ai réfléchi depuis aux suites que pouvait avoir eues ma faiblesse. Si nos savans ont tiré quelques conséquences de ces observations, le résultat doit être entaché d’erreurs graves. Je souhaite qu’il ne soit pas trop tard pour les rectifier.

Dès qu’on eut pu juger à vue d’oiseau du dédale au fond duquel nous avions pénétré, on expédia de tous côtés des embarcations pour en sonder les détours. D’autres canots reçurent la mission de visiter les îlots les plus considérables et d’explorer le contour de la baie pour y chercher ce que nous désirions trouver par-dessus tout, une aiguade. On ne rencontra qu’un mince filet d’eau que nos équipages altérés auraient épuisé en un jour. On ne saurait se figurer un aspect plus désolé que celui de la côte sur laquelle avaient lieu ces investigations inutiles. Huit jours après avoir jeté l’ancre sur cette côte inhospitalière, nous remîmes sous voiles. Un peu émus encore des périls auxquels nous venions d’échapper, nous consacrâmes cependant une semaine tout entière à croiser, malgré des vents violens, entre les divers groupes d’îlots que nous continuâmes à rencontrer sur un espace de plus de cent vingt milles. Quand nous fûmes à peu près certains qu’aucun récif ne se trouvait en dehors du pénible sillon que nous venions de tracer, nous nous dirigeâmes, serrant toujours la terre, nous en approchant souvent à moins d’un mille, vers