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fort affligé, comme on peut croire, et surtout fort préoccupé des moyens de payer ma dette. Je possédais deux atlas, quelques livres et un habit de velours souci parsemé de points noirs. Mon domestique reçut l’ordre d’aller vendre tous ces objets ; le prix qu’il m’en rapporta me permit de satisfaire sur-le-champ à mes obligations ; il me resta même assez d’argent pour attendre sans trop de gêne la solde du mois, qui heureusement touchait à sa fin.

Le passage dans l’intérieur de l’île de Java des officiers, des naturalistes et des marins proscrits par M. de Mauvoisis redressa les idées fausses qu’on avait accréditées sur leur compte. Les Hollandais purent juger, en voyant de près ces prisonniers, qu’on les avait étrangement calomniés. Ils ne trouvèrent dans les hommes qui leur avaient été signalés comme des révolutionnaires dangereux que des gens inoffensifs qui ne s’étaient jamais occupés de politique, ou ne s’en étaient occupés qu’avec la ferveur naïve que presque toute la France avait montrée à cette époque pour de périlleuses utopies. Aussi à leur arrivée dans la capitale de l’île nos compatriotes furent-ils reçus avec une bienveillance extrême, qui pour quelques-uns même se transforma en une généreuse sollicitude. Les corsaires de l’Ile-de-France avaient fait des captures importantes dans la mer des Indes ; les Hollandais, de leur côté, s’étaient emparés de quelques-uns de nos bâtimens. Un navire fut expédié de Batavia en parlementaire, pour traiter avec les autorités de l’Ile-de-France de l’échange des prisonniers. Quelques-uns des proscrits de la Truite et de la Durance furent embarqués sur ce bâtiment : il est regrettable que tous n’aient pu obtenir cette faveur. Les laisser à Batavia sous l’influence d’un climat dont l’insalubrité était alors proverbiale, c’était les exposer à un danger plus terrible que tous ceux que nous avions affrontés sur les côtes de la Nouvelle-Hollande ou de l’Océanie. Plusieurs de nos compagnons payèrent ainsi de leur vie les ambitieuses illusions de leur commandant.

Les événemens se chargeaient à cette époque même de seconder le retour de la haute régence à des sentimens plus équitables. Non-seulement nos frontières avaient cessé d’être menacées, mais nos armées pénétraient déjà jusqu’au cœur des pays ennemis. Quelques mois s’étaient à peine écoulés depuis le départ des premiers proscrits pour l’Ile-de-France, qu’un bâtiment léger, expédié de cette île, vint réclamer au nom de la république « le traître Mauvoisis et les malheureux équipages. » Le délégué du gouverneur français était précisément un de ces naturalistes que le chef de l’expédition s’était empressé de porter sur ses listes de proscription. Après d’assez longues irrésolutions, le conseil suprême refusa de faire droit à cette demande. Il faut croire cependant que ce refus n’était pas bien catégorique,