Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs services dans le cours du voyage. Trois officiers reçurent la croix de Saint-Louis, et en présence des états-majors réunis prêtèrent le serment exigé par les statuts de l’ordre. Cette mesure ne pouvait plus laisser de doutes sur l’intention de M. de Mauvoisis de ne rentrer en France que lorsqu’il aurait reçu des nouvelles plus en rapport avec ses désirs et ses espérances. Nous savions qu’il entretenait une correspondance très active avec le gouverneur-général, mais nous ne soupçonnions pas qu’il sollicitait déjà les secours de la haute régence pour tenir en respect au besoin les équipages des deux corvettes, accusés par leur commandant de s’être constitués en état de révolte. Est-il besoin d’ajouter que rien, ni dans les équipages ni dans les états-majors, ne justifiait une telle accusation ? Chacun s’étonnait, il est vrai, que notre séjour à Sourabaya se prolongeât ainsi sans nécessité, mais jamais on n’avait eu à nous reprocher le moindre murmure ni le moindre mouvement sérieux. Malgré des dissensions profondes, il n’y avait qu’un vœu parmi nous, celui de rentrer en Europe, et d’y rentrer avec nos bâtimens. Ce qui acheva d’égarer l’ambition de M. de Mauvoisis, ce fut sa crédulité. Les nouvelles ne parvenaient point alors dans les Indes avec autant de rapidité et de régularité qu’aujourd’hui. La compagnie hollandaise, intéressée à ne laisser circuler dans ses possessions aucun bruit qui pût ébranler sa puissance, avait pris des mesures pour qu’aucun journal, aucune correspondance, ne pussent pénétrer dans la colonie sans avoir subi une censure préalable. On ne pouvait donc savoir à Java des événemens qui s’accomplissaient en Europe que ceux qui tournaient contre nous, ou qui tendaient à déshonorer la cause de la révolution Les avantages remportés par nos armes étaient soigneusement dissimulés ; le règne odieux de la convention était au contraire livré à l’indignation publique avec toutes ses horreurs et tous ses désordres. Qui eût pu croire au triomphe d’une orgie où des bourreaux ivres de sang et à court de victimes semblaient prêts à se dévorer entre eux ? Déjà la reine Marie-Antoinette et les girondins avaient porté leur tête sur l’échafaud, la Vendée était en feu, Dumouriez venait de passer à l’ennemi. M. de Mauvoisis crut la France vaincue et l’émigration près de rentrer bannières déployées dans Paris. Il ne voulut pas attendre le dernier moment pour manifester ses principes par un acte éclatant. Il trouva malheureusement dans le conseil supérieur de la compagnie, à l’honneur duquel nous étions confiés, une disposition complaisante à écouter ses rapports mensongers et un empressement perfide à seconder sa défection. Dans la nuit, des listes de proscription sont dressées. Deux vaisseaux de guerre de cinquante canons et des canonnières entourent nos corvettes ; des détachemens