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Un instant on put croire que ces secours nous seraient refusés ; on avait appris à Sourabaya que la guerre était déclarée entre la Hollande et la France. L’officier qui avait été envoyé à terre pour demander l’autorisation de faire entrer nos corvettes en rade fut arrêté avec les hommes qui l’accompagnaient et retenu comme prisonnier de guerre. Un second officier et un second canot eurent le même sort. À la nouvelle de ces indignes procédés, M. de Mauvoisis réunit les états-majors des deux corvettes, et, après avoir exposé en quelques mots les difficultés de la situation, il annonça qu’il n’y avait point d’alternative qui ne lui parût préférable à celle de remettre nos bâtimens entre les mains de l’ennemi. Ces nobles paroles obtinrent une approbation unanime. Il fut décidé que, dès le lendemain, nous nous éloignerions d’un pays où l’on méconnaissait et le droit des gens et les lois de l’hospitalité. Qu’adviendrait-il ensuite de nous ? C’est ce qu’il était difficile ou bien triste de prévoir. Il ne restait plus à bord de nos corvettes que trente jours de biscuit tout à fait avarié et un mois d’eau. Les deux tiers de nos équipages étaient attaqués de la dyssenterie ; les hommes les plus valides étaient précisément retenus avec les deux embarcations que les Hollandais se refusaient à relâcher. Dans ces conditions, réussirions-nous à atteindre l’Ile-de-France, le seul port qui nous fût désormais ouvert ? Ferions-nous près de douze cents lieues quand nous avions failli désespérer de pouvoir en faire quatre cents pour nous traîner de Waygiou à Sourabaya ? Toutes nos dispositions de départ n’en furent pas moins prises, et nous n’attendions plus que le moment de mettre sous voiles, lorsqu’à notre grand étonnement nous vîmes arriver l’officier qui avait été le premier envoyé à Sourabaya. Le conseil supérieur de Batavia avait levé toutes les difficultés, et des ordres étaient donnés pour qu’on nous fît l’accueil réservé aux navires des puissances amies. Des pilotes nous étaient en même temps expédiés par le gouverneur. Nous levâmes aussitôt l’ancre, et, confians dans la foi jurée, nous donnâmes à pleines voiles dans la passe qui nous conduisit en quelques heures à l’entrée même de la rivière de Sourabaya.

Il y avait plus de deux ans que nous avions quitté la France. Ces deux années avaient été remplies pour nous de bien tristes épreuves ; mais qu’étaient nos malheurs en comparaison de ceux qui pendant la même période affligeaient notre pays ? Les deux officiers qui avaient eu des communications avec la terre apportaient des nouvelles que nous n’hésitâmes pas d’abord à taxer d’exagération. « La France, leur avait-on dit, était en guerre avec toutes les nations de l’Europe coalisées contre elle ; une révolution épouvantable avait abouti à la mort du meilleur des rois ; les démagogues, exerçant un