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qui adopta un système entièrement opposé à celui de son prédécesseur. M. d’Argenson fut le dernier des ministres français qui poursuivit les vues de Richelieu et de Mazarin pour l’abaissement de la maison d’Autriche. Après lui, la cour de Versailles devint l’alliée de l’empereur et l’ennemie du roi de Prusse. Le ministre disgracié rentra dans la vie privée ; mais il ne fut pas seulement éloigné des affaires, il fut exilé, ce qui l’affecta au plus haut point. Il n’obtint qu’à la fin de sa vie la permission de venir se faire traiter à Paris, et y mourut le 22 août 1764, un peu trop délaissé par son heureux frère, demeuré secrétaire d’état de la guerre.

La vie politique, à proprement parler, ne fut qu’un épisode dans l’existence du marquis d’Argenson. Il était très intimement lié avec Voltaire et toute la coterie des beaux-esprits philosophes, qui étaient alors si fort tenus en honneur à Paris et dans toute l’Europe. L’éditeur de ces Mémoires consacre à M. d’Argenson une longue et très intéressante notice. Sans prétendre entrer ici dans un examen approfondi de ce curieux ouvrage, je ne puis que le signaler comme digne de l’intérêt des gens du monde et de l’attention des hommes sérieux.

Les Courriers de la Fronde nous font encore remonter cent ans en arrière pour nous conduire au milieu de cette société élégante et ferrailleuse où l’on était ami le matin et ennemi le soir, sans toujours bien savoir pourquoi et souvent par simple esprit de mode. Saint-Julien, poète-bourgeois de Paris, nous a laissé une très curieuse gazette rimée des événemens accomplis depuis mai 1648 jusqu’en avril 1649 : c’est une chronique piquante et qu’on doit lire avec Loret, dont l’édition paraît aussi en ce moment. Ces histoires burlesques, il faut bien se servir de ce mot, sont des témoignages utiles à entendre et surtout instructifs. L’historien burlesque, comme Saint-Julien, comme Loret, comme tous ceux qui rimaillèrent alors en ce sens, est l’écho et bien souvent l’organe d’un parti ou d’un homme. « Il a écrit, dit M. Moreau, en présence des événemens, sous l’influence des sentimens et des idées qui prévalaient alors, et qu’il a traduits à sa manière : il a été l’instrument de toutes les rivalités, de toutes les jalousies, il s’est prêté à toutes les passions comme à toutes les haines ; mais il y a tout un côté des mœurs publiques qu’il enlumine de couleurs éclatantes et qu’il éclaire d’une chaude lumière. C’est dans ces vers surtout qu’on voit bien la foule qui grouillait sur le Pont-Neuf, autour du cheval de bronze ou devant la Samaritaine, dès que le moindre bruit se répandait dans Paris, et qui vociférait au Palais et jusque sous les piliers de la Grand’Salle dans les jours d’émeute. » Saint-Julien et Loret font merveilleusement connaître cette singulière phase de notre histoire révolutionnaire, avec laquelle, grâce aux nombreuses publications contemporaines, nous sommes presque aussi familiarisés qu’avec la nôtre.

Ed. de Barthelemy

V. de Mars.