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plus intéressans épisodes, à une renaissance de la tragédie. Un jour on a vu cette comédienne, inconnue la veille, monter sur la scène et faire revivre toutes ces héroïnes de Corneille et de Racine. Elle a été tour à tour Monime et Camille, Esther et Phèdre, Hermione et Pauline. Par un don spontané, elle ranimait ces œuvres merveilleuses, dont un habile interprète fait toujours des œuvres émouvantes. C’est là en effet le trait distinctif de cette organisation d’artiste : Mlle Rachel ne devait rien à une tradition d’école ; la nature avait tout fait pour elle, et jamais peut-être diction plus sévère et plus correcte n’a mieux fait sentir la force, la majesté et la grâce de ce grand art du XVIIe siècle. Là était le don véritable de ce talent, et, chose remarquable, l’originalité de la comédienne n’apparaissait tout entière que là, dans cette interprétation des œuvres anciennes ; elle diminuait ou s’effaçait dans les créations modernes, pour lesquelles elle semblait avoir peu de goût. Son mérite a été de contribuer pour sa part à faire briller aux yeux des contemporains une image de cet esprit littéraire d’un autre siècle qui résume l’intelligence française dans ce qu’elle a de plus élevé et de plus complet. Poussée tout à coup de l’obscurité à la gloire de la scène, Mlle  Rachel a eu les vertiges de cette fortune et de cette vie. Si elle eût moins promené son talent sur tous les théâtres de Saint-Pétersbourg, de Londres ou de New-York, sans compter les plus humbles théâtres de province, elle l’eût conservé plus sobre et plus sévère, et, en restant plus fidèle à l’art, elle eût plus longtemps vécu peut-être. Elle est morte aujourd’hui. Qu’on reconnaisse les dons de l’artiste, ce sera une justice ; seulement il ne faudrait pas tout confondre, et faire pour l’interprète du génie ce qu’on ne fait pas toujours pour le génie lui-même ou pour le talent de l’écrivain.

La situation du Piémont, telle que les dernières élections l’ont faite, commence-t-elle à s’éclaircir un peu à mesure que se déroule la session du parlement ? A vrai dire, cette session n’a été marquée jusqu’ici que par le discours du roi Victor-Emmanuel. La chambre des députés en est encore à vérifier ses pouvoirs. Seulement, dans cette première opération, il est facile d’observer la trace des préoccupations éveillées par le résultat du dernier scrutin. Ce résultat a été évidemment imprévu. Tandis qu’on croyait au succès infaillible d’une majorité libérale considérable, il s’est trouvé, comme on sait, que la droite voyait sa position agrandie et fortifiée dans le parlement. Des ecclésiastiques ont même été élus. Il n’en fallait pas plus pour exciter la susceptibilité d’une certaine fraction de l’opinion libérale, qui ne peut admettre un tel démenti de ses prévisions et de ses espérances. Le premier mouvement a été de prendre en méfiance ce résultat électoral ; le second mouvement a été de voir s’il n’y aurait pas quelque moyen de l’infirmer ou de l’atténuer. On peut dire que de là sont nées les propositions qui se sont fait jour dans la vérification des pouvoirs et quelques-unes des décisions qui ont été prononcées. La question principale qui a été agitée est celle d’une enquête sur la participation du clergé aux élections, ou sur ce qu’on nomme les menées cléricales. Cette enquête a été votée après une discussion animée, à laquelle ont pris part des orateurs de toutes les nuances, notamment M. de Cavour et M. de Camburzano, un des membres nouveaux de la droite, qui s’est fait remarquer par son langage habile et