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cipé de l’opinion, qui n’est point certes sans avoir sa puissance. Si l’Académie veut nommer un poète d’une inspiration sérieuse, elle a M. de Laprade, à qui elle a déjà donné des voix, sinon le succès ; si elle veut choisir une plume habile et sobre qui a su préserver l’art du roman des atteintes de toutes les corruptions, qui préférerait-elle à M. Jules Sandeau ? Si elle veut élire un écrivain qui a porté une ferme et libérale intelligence dans l’étude de l’histoire et des problèmes contemporains les plus épineux, elle trouve M. de Carné. Entre ces esprits sérieux, élevés ou charmans, que l’Académie eût des scrupules et qu’elle hésitât, n’ayant pour le moment que deux élections à faire, cette hésitation même révélerait une juste préoccupation littéraire ; mais voici l’embarras : quand elle a des candidatures naturelles, l’Académie en veut chercher d’autres, ou du moins on se plaît à les chercher pour elle.

Une élection est tout un drame savamment combiné, où se croisent mille influences, et où ce qui est public n’est peut-être pas ce qui est le plus curieux. Il y a de grands électeurs et même, dit-on, de grandes électrices, qui se reposent de leurs fatigues mondaines en s’essayant à faire des académiciens. On discute les titres, — non les titres littéraires, il s’entend, — on dirige d’avance le scrutin, et c’est ainsi que naissent des candidatures qui semblent tout à fait imprévues ou improvisées, même quand elles sont le mieux préparées. Supposez quelque combinaison de ce genre, la candidature si simple et si naturellement indiquée de M. Jules Sandeau aura tout à coup les inconvéniens les plus inattendus. Dans ce dernier roman que vous avez lu, dans ce gracieux et émouvant récit de la Maison de Penarvan, M. Jules Sandeau, — le croiriez-vous ? — a commis un grand crime sans y songer : il a attaqué la noblesse, à ce qu’il paraît. Dans l’auteur de Marianna et du Docteur Herbeau s’est révélé tout à coup un esprit des plus dangereux, sinon un révolutionnaire fort menaçant. Qu’en faut-il conclure ? C’est qu’il est de toute nécessité que l’Académie, pour sauver les traditions sociales, songe à un autre candidat et nomme M. de Marcellus. Il n’y aurait vraiment rien à dire, si M. de Marcellus, qui a employé son zèle à doter la France de la Vénus de Milo, et qui a fait des travaux d’érudition sur la littérature grecque, entrait à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; mais évidemment l’honorable candidat s’est trompé de porte. S’il entrait à l’Académie française, Jules Sandeau n’aurait plus qu’à se présenter à l’Académie des Inscriptions, tandis que M. de Carné irait solliciter les suffrages de l’Académie des sciences mathématiques, et tout serait à sa place dans le monde nouveau créé par les grands électeurs de l’Institut. Ceci est plus grave qu’on ne le dirait au premier abord, et passe par-dessus toutes les questions personnelles. L’Académie a quelquefois à soutenir des luttes directes ou indirectes, cachées ou ostensibles, pour défendre ses privilèges, ces franchises traditionnelles qui ne sont pas la liberté même de l’esprit, mais qui en sont l’image. Où peut-elle trouver sa force, si ce n’est dans l’opinion ? L’opinion s’intéressera à l’Académie ; elle lui prêtera cet appui invisible, insaisissable et pourtant si réel, qui est son unique moyen d’action, tant qu’elle verra des choix heureux, des récompenses justement accordées au talent et au travail. S’il n’en était plus ainsi, elle se retirerait peut-être. L’opinion ne sévit pas, elle