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tenu contre un contingent insurgé de Gwalior, a éprouvé un échec dans une rencontre qui a suivi. Sur d’autres points, dans le pays des Mahrattes jusqu’ici tranquille, le désarmement devient une occasion de révolte. La population belliqueuse du royaume d’Oude reste en armes, et sans douter du succès définitif, on s’aperçoit que cette insurrection indienne est une grande et longue affaire, même réduite aux proportions d’une répression laborieuse., étendue à de tels espaces et à de telles populations. C’est ce qui a contribué à jeter quelque trouble dans les dispositions récentes des Anglais à se rassurer après la délivrance de Lucknow. Il y a eu visiblement une sorte de déception, mais il est surtout un événement qui a servi à raviver cette plaie, à jeter comme un voile de tristesse sur ces affaires : c’est la mort du général Havelock, l’un des chefs qui ont le plus illustré l’armée anglaise dans le premier effort de résistance opposé à l’insurrection. Havelock est mort après six mois de luttes, de marches épuisantes, de prodiges d’intrépidité. Cette mort a retenti en Angleterre ; c’était simple et juste, car tout d’abord Havelock a été le héros de la guerre de l’Inde ; on a vu en lui le chef qui personnifiait avec le plus d’éclat l’énergie virile et l’indomptable fermeté de la race britannique. Il n’était rien au commencement de l’insurrection : il n’était que simple colonel vieilli dans le service ; seulement c’était un de ces hommes comme l’Angleterre en a trouvé quelquefois dans l’Inde, qui sortent tout à coup de l’obscurité au moment voulu, s’élèvent en quelque sorte avec le péril, et se sentent responsables du nom anglais. Il avait parcouru en héros ces étapes de Cawnpore à Lucknow, conduisant sans faiblir sa petite troupe décimée à chaque pas par de feu et la maladie. L’Angleterre s’était aussitôt montrée fière de ce mâle serviteur : elle lui avait voté des pensions ; la reine lui accordait la noblesse héréditaire. Ces récompenses ne s’adressent plus aujourd’hui qu’à un mort, et Havelock, comme on sait, n’est pas le seul général qui ait succombé. Il est le dernier inscrit sur une liste déjà longue : terrible exemple des sacrifices nécessaires pour réparer des désastres que la politique aurait pu prévoir et détourner peut-être ! Cette question est l’affaire du parlement, qui se réunira bientôt.

Pour la France, elle a fini l’année dans le calme intérieur, et elle commence aussi l’année nouvelle dans le calme. La vie administrative suit son cours sans bruit, avec cette puissance régulière et silencieuse d’un vaste mécanisme qui embrasse tout un pays et lui imprime un mouvement uniforme, inaperçu, quoique perpétuellement actif. Les conditions que crée cet état nouveau ne sont pas toujours faciles, et il se rencontre aisément de singuliers docteurs qui ne demanderaient pas mieux que de les aggraver, s’ils le pouvaient. Volontiers ils réduiraient le pays à vivre de leur sagesse, de leur intelligence et de leur éloquence, ce qui ne serait point, il faut le dire, la plus fortifiante des nourritures. Si un professeur aimé de la jeunesse, écouté et applaudi depuis bientôt trente ans, accoutumé à parler avec une honnête liberté, si ce professeur mêle dans ses leçons la littérature et l’histoire, les vues ingénieuses sur l’art et les considérations sociales, ce qui charme l’esprit et ce qui le relève, aussitôt ils signaleront ce dangereux exemple, sans songer que leurs réquisitoires s’adressent encore plus au public qu’au professeur. Si les académies se réfugient dans ces immunités naturelles et lé-