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par tous les riverains du Danube, c’est-à-dire par l’Autriche, la Turquie, la Bavière et le Wurtemberg ? Nullement ; la compétence du congrès de Paris ne reste pas moins entière, et elle ne saurait être contestée, quoiqu’on en ait eu peut-être la pensée. Or que va-t-il arriver ? La convention de Vienne présente ce phénomène anormal d’une transaction diplomatique dénuée de valeur réelle, bien que marquée du sceau qui la rend exécutoire. Si elle est sanctionnée par le congrès, l’acte de souveraineté accompli par les rois de Bavière et de Wurtemberg n’aura pas moins été suspendu. Ce serait bien mieux encore, si les règlemens stipulés pour la navigation du Danube étaient modifiés, et cette prévision n’a rien d’inadmissible ; l’Autriche aurait exposé deux souverains à voir un acte de leur prérogative infirmé par une réunion diplomatique où ils n’ont pas de représentans, par une autorité dont ils ne relèvent pas, et dont la juridiction ne peut les atteindre. Telle est la situation bizarre créée par la précipitation du cabinet de Vienne. L’Autriche a-t-elle espéré passer à travers tous les obstacles et assurer le succès de ses vues en présentant un acte définitif revêtu d’une solennité particulière ? Elle l’a cru peut-être, et elle se fonde, dit-on, sur une expression du traité qui semble laisser entendre que le congrès prendra simplement acte de la communication qui lui sera faite des règlemens de navigation : à quoi il est facile de lui répondre par un autre article, stipulant formellement que ces règlemens seront arrêtés en commun, et là est manifestement la pensée, l’esprit qui a inspiré les dispositions du traité. Cela est si vrai que la Turquie, elle-même, en envoyant sa ratification à Vienne, paraît avoir hésité, et a réservé la souveraine juridiction de l’Europe. Quant aux autres puissances, l’Autriche n’en est pas sans doute à savoir que, dans leur pensée, la convention signée par les états riverains du Danube n’a rien qui diminue les droits d’examen et de révision du congrès de Paris. C’est un point sur lequel la France et l’Angleterre, la Russie et la Prusse, aussi bien que la Sardaigne, ne peuvent qu’être d’accord, puisqu’il s’agit pour l’Europe de maintenir l’autorité d’un principe établi par elle, ou de l’abandonner à l’interprétation un peu intéressée, on en conviendra, du cabinet de Vienne. L’Autriche poursuit avec une invariable persévérance l’accomplissement de ses desseins sur le Danube, on ne peut absolument lui en faire un crime ; de même il est tout simple que les autres puissances ne laissent point énerver la force des prescriptions libérales sous l’empire desquelles elles ont voulu placer le commerce universel.

Cette lutte d’influences qui se prépare n’a point en vérité d’autre sens, et la forme ne serait rien après tout, si dans le fond la convention signée par les états riverains du Danube et inspirée par l’Autriche offrait une sérieuse et franche satisfaction à tous les intérêts du commerce et de la navigation. Malheureusement c’est là ce dont on peut douter. L’histoire de cette liberté des fleuves, pour laquelle les cabinets luttent en Europe et même en Amérique, au Brésil particulièrement, serait assez curieuse. On a pris pour point de départ, dans le dernier congrès, les dispositions de l’acte final de Vienne, qui consacrent le principe de la liberté de navigation. En réalité, c’est le traité de 1814 qui proclamait le premier ce principe, et il le posait dans des termes beaucoup plus larges en ouvrant les fleuves à tous les pavillons. De-