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il le ferait à ses risques et périls, et que l’ennui était, à tout prendre, préférable au ridicule et à la lâcheté. D’ailleurs cet ennui si funeste avait fini par lui devenir nécessaire, il était devenu une habitude comme l’opium et le tabac. Lorsqu’il s’abandonnait à un élan de gaieté, on le voyait s’arrêter subitement, comme s’il eût reçu à l’oreille quelque sévère avertissement, ou que la pensée qu’il mentait à sa véritable nature lui eût traversé l’esprit. « Que fais-tu, misérable présomptueux ? tu t’avises d’être gai, comme si tu avais quelques motifs de l’être ; memento quia pvlvis es, souviens-toi que tu dois être le fidèle serviteur de l’ennui ; bâille en son honneur, et ne recommence pas tes impertinentes incartades. » Telles étaient les paroles qu’il lui semblait entendre prononcer par sa conscience, et qui le ramenaient modeste et soumis aux conditions pour lesquelles il était créé… Jamais homme, depuis le philosophe de Pascal, ne s’est montré acteur si docile, et n’a joué avec plus de scrupule le personnage que les dieux lui avaient confié dans la vaste comédie dont ils s’amusent.

Grâce à ces heureuses disposions, il tomba enfin dans cette sombre maladie qui renferme toutes les autres, l’hypocondrie, et ce qui n’avait été jusque-là qu’une rêverie malsaine devint une sinistre réalité. Il eut dès lors toujours présent avec lui un spectre invisible pour tout le monde, visible pour lui seulement, et la pensée du néant, qui ne se présente à l’esprit des autres hommes que pour en être chassée par les préoccupations des plaisirs et des affaires, lui devint familière et chère entre toutes. Toutes ces légères velléités de bonheur qui de loin en loin agitaient encore son cœur cessèrent de le tourmenter, et le désir même de vivre mourut en lui. Dans cette stérilité, dans ce silence de toutes les voix de la nature, il trouva pourtant paix et douceur. Cette quiétude au sein d’un ennui aussi profond devint enfin tellement effrayante, que ses meilleurs amis ne virent d’autre remède qu’une réaction violente, de quelque nature qu’elle fût ; ils le supplièrent de s’arracher à ce bonheur sinistre, de secouer cette paix plus mortelle qu’une eau marécageuse et dormante, d’essayer de vivre en un mot. Ils tentèrent une dernière fois de le bercer de vains rêves, ils essayèrent d’attiser en lui les flammes des espérances. Inutiles tourmens ! les flammes étaient éteintes, et le foyer où elles s’alimentaient refroidi depuis longtemps.

C’est alors qu’un soir, après avoir fait tous les efforts qu’il était en mon pouvoir de faire pour l’engager à rebrousser chemin dans la voie où il était entré, et à rentrer brusquement dans la vie, je reçus en réponse à mes conseils ces tristes confidences que j’essaierai de reproduire telles qu’elles furent faites, sans amplification ni développement inutile, et dans leur concision cruelle et ironique.