Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surveiller tous nos mouvemens, et depuis quelques jours il nous suivait à mesure que nous nous transportions d’un point à un autre pour continuer nos travaux hydrographiques. Désireux de pénétrer nos véritables desseins, il vint en grande pompe visiter la frégate. Reçu par l’amiral avec une extrême bienveillance, il se retira charmé du spectacle vraiment extraordinaire pour lui qu’il venait de contempler. Une heure après son départ, l’amiral s’aperçut que la montre suspendue dans sa cabine avait été enlevée. Le coupable était nécessairement un des hommes de la suite du chef coréen. Cet incident pouvait donner à l’amiral les moyens de pénétrer les véritables sentimens de l’aristocratie coréenne : il nous envoya donc réclamer la montre, et nous partîmes accompagnés de nos interprètes.

L’heure était avancée déjà. Dans le hameau voisin de notre mouillage, abandonné de ses habitans dès le jour de notre arrivée par ordre des mandarins, on remarquait à peine quelques soldats chargés d’épier notre conduite. L’un de ces soldats nous servit de guide. Conduits par lui, nous pénétrâmes dans l’intérieur du pays en suivant un sentier qui contournait les flancs d’une haute colline et aboutissait au village où le mandarin avait établi sa résidence temporaire. La maison où nous fûmes introduits était un vaste bâtiment carré qui semblait servir de maison commune. À la porte étaient les licteurs veillant autour des bannières du mandarin, déployées pour attester sa présence. Dès que le bruit des gongs annonça notre arrivée, le mandarin accourut à notre rencontre avec un empressement à travers lequel perçaient une surprise et une curiosité faciles à comprendre. À sa suite, nous pénétrâmes dans une immense salle qu’éclairaient de nombreux visiteurs, tenant des torches à la main, tandis qu’une foule d’hommes du peuple se pressait dans la cour, à peine contenue par les satellites du mandarin. Quand chacun de nous se fut assis, lorsqu’on eut échangé les politesses d’usage, notre interprète prit la parole et raconta brièvement les motifs de notre arrivée. Comment décrire la surprise, l’indignation, la colère du mandarin, à mesure que tombaient une à une les paroles de ce récit ? Des ordres brefs et rapides sont donnés, les licteurs les répètent, la foule silencieuse les redit comme un écho, et les transmet de distance en distance. Un quart d’heure s’écoule, un jeune homme et un homme déjà vieux sont introduits et s’agenouillent au milieu de nous, en face du mandarin. Le plus âgé tient la montre d’une main tremblante et balbutie quelques paroles qui semblent demander grâce. Cet homme est le père du coupable. Enfant de quinze ans, attaché à la maison du mandarin, son fils a succombé à une tentation fatale, mais bientôt il a tout avoué à son père, lui a remis la montre, et, prenant la fuite, il s’est soustrait à