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je ne veux point l’obliger à nous suivre dans la longue et périlleuse exploration de la terre de Nuytz.

Le seul Homère peut aux grands combats d’Hector
Ajouter des combats et des combats encor !


J’ai vu là cependant mieux qu’ailleurs ce que peuvent le sang-froid et le coup d’œil du marin. Si je livre à l’oubli cette partie de nos travaux hydrographiques, je ne sacrifierais pas aussi aisément le souvenir de l’habile manœuvre à laquelle nos corvettes, dans la circonstance la plus critique, durent leur salut.

C’était par une belle matinée de décembre, c’est-à-dire au cœur du printemps dans l’hémisphère austral. Nous nous étions hardiment engagés entre un groupe d’îlots et la terre. Le vent, soufflant de l’ouest-nord-ouest, suivait la direction même de la côte, le temps conservait la plus belle apparence ; le baromètre cependant commençait à baisser. Plus d’expérience de ces parages nous eût appris le danger qui nous menaçait. À mesure que nous avancions, les vigies annonçaient de nouveaux îlots ou de nouveaux écueils. Du côté du sud, à dix ou onze milles, s’étendait un immense brisant au milieu duquel apparaissaient quelques têtes de roches, et qui, tout blanc d’écume, rappelait à nos vieux marins la fameuse chaussée de Sein, ce tombeau de tant de navires sur les côtes de Bretagne. Vers l’est, un nouveau groupe d’îlots nous barrait complètement le passage. Nous songeâmes à rétrograder, comptant que le chemin qui nous avait conduits à l’entrée de cet archipel pourrait nous en faire sortir ; il était déjà trop tard. La brise fraîchissait, la mer devenait de moment en moment plus creuse. Nos bordées inutiles nous ramenaient toujours au même point. La Durance, qui à tous ses défauts joignait celui de mal gouverner et d’incliner beaucoup à la moindre brise, manqua plusieurs viremens de bord : aussi se trouva-t-elle bientôt arriérée de plusieurs milles. Vers deux heures de l’après-midi, le vent tourna au sud-ouest, et prit une telle impétuosité, qu’il nous fallut serrer nos huniers et rester sous nos deux basses voiles. Dès lors nous n’allâmes plus qu’en dérive ; notre sort ne pouvait être douteux. Si nous réussissions à échapper pendant quelques heures encore aux roches qui surgissaient pour ainsi dire sous nos pas, nous n’aurions fait que retarder notre naufrage. Ce naufrage s’accomplirait au milieu des horreurs que peuvent ajouter à de pareilles scènes le désordre et l’obscurité de la nuit. Notre commandant jugea le moment venu de réunir les officiers en conseil. Les débats furent longs, les avis fort opposés. Les plus anciens officiers voulaient mettre encore leur espoir dans un changement de vent, et ils insistaient pour que l’on continuât à louvoyer. Un enseigne de vaisseau nommé Baudouin fut d’un avis contraire ; il était