Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les traditions de la vieille politique coréenne. Y consentir, c’était pour les autorités de Young-hin s’exposer à une dégradation certaine, peut-être à la mort. D’un autre côté, un refus était-il possible ? De nombreux visiteurs, espions déguisés et aux formes polies, avaient reconnu la force de notre frégate, la supériorité de nos terribles machines de guerre. Traîner les affaires en longueur, faire des réponses évasives, temporiser en un mot pour pouvoir soumettre la nouvelle de notre arrivée, de nos exigences, au gouvernement de Séoul, et en obtenir des instructions spéciales, tel fut le système adopté à notre égard. Ce système était prévu. Un ultimatum fut signifié, et lorsque le mandarin supérieur de la province, accouru en toute hâte, se vit enfin mis en demeure de se prononcer au sujet des vivres que nous demandions, sa réponse ayant été négative, douze bœufs furent en un instant saisis par des tirailleurs cachés dans un repli du terrain et embarqués sous les yeux de la foule émerveillée, des chefs frappés de stupeur, en même temps que 300 piastres étaient déposées devant le mandarin comme paiement de ce singulier marché.

Ainsi dès les premiers jours notre position fut parfaitement dessinée aux yeux de ce peuple. Nous avions la force de notre côté, mais nous ne voulions l’employer que pour maintenir les droits communs à toutes les nations du monde, et après avoir essayé tous les moyens pacifiques. L’impression laissée par notre apparition à Young-hin fut aussi durable que profonde. Dans cette longue croisière de quatre mois, pendant lesquels la frégate, trois canots en reconnaissance, ont fait flotter sur tous les rivages, dans toutes les baies de la Corée, les couleurs inconnues de la France, partout nous l’avons retrouvée aussi vive qu’aux premiers jours. C’était de la part des mandarins une crainte mêlée de confiance qui les poussait, à venir visiter la frégate, à se prêter à toutes nos démonstrations de bienveillance et d’amitié, tout en maintenant en secret contre nous les traditions de leur politique défiante. C’était de la part des hommes du peuple une bienveillante curiosité mêlée à de secrètes et vagues espérances qui éclataient avec une liberté complète loin dès mandarins, et que leur présence ne réussissait »pas toujours à comprimer.

Un autre épisode de la même campagne fera mieux comprendre encore quel point d’appui le peuple coréen pourrait offrir aux puissances années pour défendre et propager la civilisation dans l’extrême Asie. Nous étions parvenus dans la province de Séoul, et la frégate se trouvait au mouillage dans le golfe du Prince-Jérôme, où se jette la rivière qui arrose la capitale du pays. L’incertitude des membres du gouvernement sur nos intentions était à son comble. Un des chefs de bette ombrageuse oligarchie avait reçu la mission de