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l’officier japonais, bientôt aussi on le voyait reprendre le calme affecté de sa nation : « Pourquoi, nous disait-il, la France ne fait-elle pas un traité avec nous ? » Puis à cette demande succédait une foule de questions, qui toutes révélaient non-seulement le désir de s’instruire de la situation politique, des tendances, des forces des différens peuples de l’Europe, mais encore une connaissance réelle de cette situation et de ces tendances.

Plus franchement, plus librement exprimés dans des conversations presque intimes, ces idées, ces sentimens étaient ceux que révélaient, même dans les entrevues officielles, la conduite et les paroles de toutes les autorités japonaises que nous avons rencontrées. Toutes les conférences entre l’amiral Guérin et le gouverneur d’Hakodadi, personnage de la plus haute distinction depuis que cette ville a été élevée au rang de ville impériale, peuvent se résumer dans ces paroles presque textuelles : « La France est une nation civilisée entre toutes ; nous sommes sûrs que vous ne voudriez rien entreprendre contre les lois de notre pays. Ces lois nous défendent toutes relations avec les peuples qui n’ont pas de traités avec nous. Pour la France, nous faisons taire nos lois. Nous savons les impérieuses nécessités qui vous ont conduits dans nos ports. Ce dont vous avez besoin vous sera fourni. Vos équipages, fatigués de leur longue croisière, peuvent descendre à terre. Une pagode est disposée pour recevoir vos malades. » Singulières concessions de la part d’un tel peuple, et qui montrent les tendances nouvelles qui animent ce gouvernement, dont la politique est restée pendant si longtemps aussi hautaine qu’inflexible dans la ligne que lui Avait tracée un de ses plus habiles empereurs, le siogoun Yieiyas !

Bien d’autres symptômes révèlent un travail mystérieux dans les conseils du siogoun. Qu’est devenue cette intolérance religieuse ou plutôt cette haine du nom chrétien qui a dicté de si sanglantes proscriptions ? Nos aumôniers n’ont-ils pas, sur les tombes de nos camarades, planté la croix catholique au milieu d’une foule recueillie qui semblait s’associer à nos sentimens ? S’il est un danger que redoutent les conseillers impériaux en voyant crouler sous leurs pieds l’antique barrière qui les séparait du monde, ce n’est plus l’action religieuse de nos humbles missionnaires, mais l’ambition de la Russie et aussi le génie envahissant de la race anglo-saxonne. C’est donc vers notre pays que les Japonais se tournent avec le plus de confiance, c’est avec la France qu’ils ambitionnent le plus de se lier par des traités.

Ainsi, tandis que d’un côté le Céleste-Empire, malgré la guerre de 1840, malgré les traités de Nankin, retourne avec ardeur vers les traditions du passé, le Japon, lui, se dégage peu à peu de ces