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dans la baie, vers le fond de laquelle nous devions prendre nôtre mouillage, et lorsqu’après quelques difficultés, fondées sur de trop futiles prétextes pour que l’amiral n’en triomphât point aisément, les autorités hollandaises eurent consenti a nous accueillir, nous laissâmes tomber l’ancre sous les murs du fort Vittoria avec la satisfaction du moissonneur qui dépose sa faucille près de la dernière gerbe. Il n’y avait pas encore un an que nous avions quitté la France, et nous avions déjà passé deux cent soixante-neuf jours à la mer.

III

L’île d’Amboine était le chef-lieu des établissemens que cette grande association hollandaise, désignée sous le nom de compagnie des Indes orientales, possédait, depuis le milieu du XVIIe siècle ; dans l’archipel des Moluques. On sait l’importance qu’eut autrefois le commerce, si secondaire aujourd’hui, du poivre, de la muscade et des clous de girofle. C’était pour arriver jusqu’aux îles à épices que les Portugais avaient fait le tour de l’Afrique, et les Espagnols le tour du monde, que les Hollandais, un siècle plus tard, s’étaient inutilement enfoncés au milieu des glaces de la Nouvelle-Zemble, que Lemaire et Schouten, trouvant toutes les voies fermées par la jalousie politique ou par le monopole commercial, avaient pénétré dans l’Océan-Pacifique après avoir découvert le cap Horn. Java et Sumatra produisaient le poivre ; les Moluques seules fournissaient la muscade et le girofle. La possession de ces îles fut donc vivement disputée : elle resta, malgré les efforts des Portugais et des Espagnols, à une compagnie de marchands hollandais. Éblouie pur une prospérité sans exemple, cette compagnie ne tarda point à s’exagérer les nécessités de sa position. La crainte de la concurrence lui conseilla des exigences tyranniques et des occupations de territoires aussi superflues que coûteuses. Au moment où nos corvettes mouillèrent sur la rade d’Amboine, la compagnie ne portait plus qu’avec peine le fardeau des dettes qu’elle avait imprudemment contractées ; les colonies néerlandaises étaient entrées dans leur période de décadence transitoire, et cependant quelle majesté, quel aspect d’opulence elles gardaient encore !

Le jour même de notre arrivée, les naturalistes, les géographes, les astronomes, les officiers supérieurs allèrent s’établir à terre. Il ne resta plus à bord des corvettes que les officiers de service et ceux qui, comme moi, ne se trouvaient pas assez riches pour faire la dépense d’un autre logement. Cette privation me fut peu sensible. Nos bâtimens étaient mouillés si près du débarcadère et la mer était si calme dans ce beau bassin et dans cette saison, que nos communications avec la terre ne risquaient point d’être