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la susceptibilité représentaient abord le parti de la révolution. La politique associa insensiblement à leurs griefs la plupart des officiers qui n’appartenaient pas à la noblesse, et comme le camp qui attaque est toujours plus ardent que celui qui défend, M. de Mauvoisis, à cette époque de notre campagne, n’eût peut-être pas trouvé à bord des deux corvettes une seule voix qui osât s’élever en sa faveur.

Par un bonheur inespéré, les équipages demeuraient fort calmes au milieu de ces luttes. Nos officiers étaient tous des hommes d’élite, et quand les matelots se sentent commandés par des gens qui savent leur métier, on a bien rarement à leur reprocher des actes d’indiscipline. Cependant il était temps qu’une relâche vînt apporter quelque soulagement à nos misères, car si la patience de nos marins eût pu supporter de plus longues épreuves, à coup sûr la santé des plus robustes ne les aurait pas subies impunément.

Enfin le 11 août à midi nous aperçûmes à l’horizon le sommet des hautes montagnes de l’île Waygiou. Nous allions entrer dans la Malaisie. Les nouvelles populations que nous devions rencontrer n’étaient point faites sans doute pour nous inspirer une confiance sans limites Habituées cependant à reconnaître la suprématie de la compagnie des Indes néerlandaises, il était probable qu’elles nous réservaient un accueil moins hostile que les féroces insulaires avec lesquels nous avions vainement tenté de lier des relations amicales. Des vents très faibles et variables continuaient par malheur à retarder notre marche. Des embarcations furent expédiées en avant pour chercher un port où nos navires épuisés pussent jeter l’ancre. Sur la côte orientale de Waygiou, les officiers chargés de cette reconnaissance découvrirent, à l’abri d’un îlot, un havre que les naturels du pays leur désignèrent sous le nom de Boni-Soïné. Nous n’avions pas à espérer de ressources bien abondantes sur ce point, quoiqu’on eût reconnu dans le voisinage des cocotiers et quelques traces de culture ; mais ce qu’il fallait à nos scorbutiques, c’était l’air de la terre. Un bain de sable pris au soleil eût plus avancé leur guérison que tous les rafraîchissemens du monde. Pendant sept mortels jours, des calmes ou des brises contraires nous empêchèrent de pénétrer dans le canal qui devait nous conduire au mouillage. C’était pour nos malheureux malades le supplice de Tantale. Dans notre impatience, nous prîmes le parti de franchir une chaîne de récifs qui laissait à peine quelques pieds d’eau sous notre quille. Quand notre ancre mordit le fond, nous comptions quatre-vingt-dix-neuf jours de traversée. Des pirogues parties des villages environnans nous apportèrent dès le lendemain quelques ignames, du poisson et des tortues.

Notre premier soin avait été d’établir des tentes sur la plage et d’installer nos malades à terre. Sans les pluies qui nous poursuivirent jusqu’à ce mouillage, quelques jours auraient suffi pour nous