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grande distance à laquelle les balles allèrent ricocher et faire jaillir l’eau. Dès que la nuit fut venue, les spectateurs s’assirent en cercle autour de l’emplacement que nous avions choisi pour y établir nos artifices. Les premières fusées qui furent lancées s’élevèrent à une grande hauteur, en marquant leur passage dans le ciel par une longue traînée de feu. Lorsqu’elles éclatèrent, laissant échapper une pluie d’étoiles brillantes, la terreur fut grande parmi les naturels. Les femmes surtout, étaient tellement épouvantées, qu’elles se serraient contre nous, comme pour implorer notre protection. Véa ne fut pas plus exempte que ses compagnes de cet effroi. Sa respiration était oppressée, tout son corps frémissait, et, bien qu’elle eût en moi la plus grande confiance, elle n’en était pas moins sous l’influence d’une émotion très vive. Ce ne fut que lorsque ces effrayantes explosions eurent cessé que les insulaires commencèrent à se rassurer un peu. L’anxiété générale avait jusque-là maintenu le silence le plus profond. Le sentiment de sécurité qui succéda soudain à cet état d’angoisse dilata tous les cœurs. Des applaudissemens frénétiques éclatèrent, et les rivages de Tonga-Tabou, qui s’étaient couverts de spectateurs, les renvoyèrent en longs cris de joie aux échos de Panghaï-Modou.

Cette fête nocturne obtint un succès merveilleux. Elle nous valut dès le lendemain la visite de la reine. Accompagnée de toutes les jeunes femmes de sa cour, Tineï-Takala vint à bord de la Truite convier à son tour l’égui-laï des Européens au spectacle d’une fête polynésienne. La touï-tonga-vahiné était d’un âge assez avancé. Les formes gracieuses des femmes des Tongas disparaissaient chez elle sous un embonpoint qui eût fait honneur à une odalisque. L’amiral eut pour cette auguste descendante des Fatta-Faïhis tous les égards que commandait son rang. Il ne put voir cependant sans un secret déplaisir le dangereux cortège qui s’introduisait à sa suite sur la corvette. Une consigne sévère avait interdit aux femmes de Tonga-Tabou l’accès de nos bâtimens. On mettait malheureusement peu de zèle à faire respecter les ordres de l’amiral. Les femmes renvoyées à terre revenaient à la nage ; elles grimpaient le long des câbles, et pénétraient à bord par toutes les ouvertures que ne gardait pas un factionnaire. L’invasion de la Truite par un essaim de beautés qu’il avait lieu de croire peu sévères parut à l’amiral une nouvelle tentative pour violer la consigne. Il n’en fit pas moins à sa majesté l’accueille plus gracieux, et ce fut peut-être ce qui enhardit les officiers de la corvette à se venger des scrupules de leur austère commandant par une espièglerie. Toutes les personnes des deux états-majors rassemblées pour donner plus de solennité à la réception de la reine se retirèrent sournoisement l’une après l’autre, et