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nous eûmes doublé ces îlots, nommés les Trois-Rois, nous nous rapprochâmes de la côte. Des pirogues partirent alors de terre et se dirigèrent vers les corvettes. La Truite mit en panne pour les attendre, mais la Durance, dont la marche inférieure retardait toujours sa conserve, reçut l’ordre de continuer sa route et de profiter de cette occasion pour prendre un peu d’avance.

Les officiers de la Truite ne purent déterminer les insulaires à quitter leurs embarcations pour monter à bord. Ils purent faire cependant avec eux quelques échanges. Les Nouveaux-Zélandais offrirent du poisson frais, des nattes, des massues et des zagaies, des hameçons fabriqués avec des coquilles ou des os de poisson, des lignes de pêche et des paquets de ce lin de la Nouvelle-Zélande, le phormium tenax, déjà connu pour sa solidité. Les naturalistes crurent aussitôt de leur devoir de représenter à l’amiral combien il serait important de relâcher dans une des baies d’Ika-na-Maoui pour s’y procurer quelques plants de ce lin précieux qu’ils se faisaient fort d’acclimater en Europe. L’amiral fit la sourde oreille : il avait d’autres objets en vue, et le retour des corvettes en France ne lui paraissait pas assez prochain pour que les essais d’acclimatation de nos naturalistes pussent avoir de grandes chances de succès. Il eût été bien aise sans doute de pouvoir souscrire à leurs désirs et de se laver ainsi du grave reproche qui lui était adressé de se montrer hostile à l’histoire naturelle ; mais était-il prudent de sacrifier quelques jours à visiter des îles dont les habitans, le 13 juin 1722, avaient massacré et mangé le capitaine Marion avec vingt-sept hommes de son équipage ? L’amiral préféra poursuivre sa route vers Tonga-Tabou, et les deux corvettes, favorisées par une douce brise des tropiques, eurent franchi en peu de jours les trois cent cinquante lieues qui séparent la Nouvelle-Zélande de l’archipel des Amis.

Entre le 11e degré de latitude sud, où Quiros plaça l’île de la Belle-Nation, et le 22e degré, où Tasman découvrit l’île des Canards-Sauvages, la main du Créateur a fait surgir les deux archipels les plus rians et les plus fertiles de l’Océanie : l’archipel des Navigateurs, reconnu par Bougainville, et l’archipel des Amis, décrit par Cook, Maurelle et Lapérouse. C’est là que les marins du XVIIIe siècle rencontrèrent à la fois la culture la plus avancée, les procédés de navigation les plus perfectionnés, le peuple le plus beau, le plus doux et le plus intelligent. Au nord-ouest des îles des Amis se développe le cercle des îles Viti, archipel d’une fécondité incomparable habité par une race dure, belliqueuse, venue probablement des Nouvelles-Hébrides, et appartenant, comme celle qui habite les principaux groupes où règne la mousson d’ouest, à la famille dont