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petite inconséquence que je venais de commettre. Nous étions tous convaincus que c’était sur une des îles de l’Amirauté que nous devions rencontrer Lapérouse et ses infortunés compagnons. Lorsque nous commençâmes à manœuvrer pour nous placer sous le vent de la Vandola, les sauvages sortirent de leur apathie. On les vit se diriger en courant vers la partie du rivage à l’abri de laquelle s’étaient rangées nos corvettes. Nous ne manquâmes pas d’interpréter cet empressement soudain au gré de nos vœux. La Vandola allait nous rendre nos compatriotes ! Chacun exprimait tout haut cet espoir. L’agitation, les gestes, les signes des habitans, tout semblait confirmer nos conjectures. J’étais placé près de notre commandant, lorsque inconsidérément je m’écriai : « On vient de brûler une amorce à terre ! » Je venais de voir en effet quelque chose qui ressemblait beaucoup à la fumée d’une amorce. Les insulaires, pour témoigner sans doute leur joie et nous souhaiter à leur manière la bienvenue, ramassaient des poignées de sable sur la plage et les lançaient en l’air. Cette poussière dispersée par le vent avait, à s’y méprendre, l’apparence d’une petite explosion. C’est là ce qui m’avait arraché une exclamation presque involontaire. M. de Terrasson, qui avait mieux vu et mieux jugé que moi, m’adressa de sévères reproches. Mon illusion cependant était excusable, et d’autres personnes l’avaient partagée. Ce fut probablement pour me faire oublier cette réprimande que notre excellent commandant eut l’extrême bonté de m’accorder une distinction à laquelle ni mon âge, ni mon rang ne me donnaient aucun droit.

Lorsque nous arrivâmes près de la côte, les sauvages accoururent en foule au-devant de nos canots. Les uns se mettaient à la nage, les autres couraient en riant sur les récifs. Tous semblaient animés de la plus grande confiance. Hommes et femmes se présentaient dans un état de nudité presque complet. Les femmes ne portaient au-dessus des hanches qu’une ceinture de petites branches flexibles dont les feuilles ne les couvraient pas jusqu’aux genoux. Les hommes avaient pour tout vêtement une seule de ces coquilles d’une parfaite blancheur que dans la famille des porcelaines on a désignées sous le nom de l’œuf. Le contraste que formait cette coquille, suspendue autour des reins par un cordon en fil de cocotier, avec la peau d’une teinte si foncée sur laquelle elle se détachait produisait un effet fort extraordinaire.

Dès que nous pûmes entrer en communication avec les habitans de la Vandola, toutes nos espérances s’évanouirent. Aucun de ces précieux débris que laisse le naufrage d’un navire européen, et dont ces insulaires n’auraient pas manqué de faire parade, ne se montrait à nos yeux : point de boutons d’uniforme pendus au cartilage