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de ses fonctions dans l’église et déclaré à jamais incapable d’en remplir d’autres ; pourquoi ? Pour son attachement aux doctrines de Schleiermacher. L’auteur des Discours sur la Religion était pourtant à Berlin l’adversaire de Hegel ; qu’importaient ces détails aux rédacteurs de l’Abeille suédoise ? Avant tout, il fallait repousser sur tous les points l’influence de l’esprit allemand. On s’explique trop bien l’action que devait exercer cette polémique. Il y a deux sortes d’hommes parmi les ennemis de la liberté religieuse en Suède : les prélats, les riches abbés, qui jouissent béatement de leurs sinécures et ne veulent pas être troublés dans leur repos, et les exaltés sincères, pour lesquels l’église suédoise est le plus ferme soutien que l’orthodoxie luthérienne possède encore dans le monde. Quel prétexte pour les premiers que les scandales de la jeune école hégélienne ! En confondant sous le même anathème tout ce qui venait de l’Allemagne, ils décréditaient d’avance le pays qui est le foyer du protestantisme en Europe, et qui avait par conséquent le plus d’autorité pour leur en rappeler les principes. Les autres, sincèrement alarmés pour la foi protestante, s’accoutumaient peu à peu à soutenir le droit de l’autorité absolue en matière religieuse. « Voyez, disaient-ils, ce qu’est devenu le protestantisme allemand. Le peuple de Luther, le peuple qu’on nommait spiritualiste et religieux par excellence, voyez où l’a conduit la liberté des études théologiques ! A l’athéisme le plus éhonté qui fut jamais. Donc point de libertés, point de réformes ; maintenons l’église nationale comme l’ont maintenue nos pères. Cette organisation qu’on attaque, c’est le rempart du protestantisme contre les protestans eux-mêmes. »

Elle est aussi, selon des esprits très sérieux, le rempart du protestantisme contre les agressions des catholiques. Je ne parle pas ici des gens intéressés à ameuter les passions ; je parle d’hommes graves, dévoués à leur foi, impartiaux cependant, et qui interrogent l’Europe entière pour se rendre un compte exact de l’état des questions religieuses. Ceux-là ne s’occupent pas seulement de l’Allemagne, ils ont les yeux sur l’Angleterre et la France, sur la Belgique et l’Italie. Or que se passe-t-il en Angleterre ? Soit habileté de la propagande romaine, soit insuffisance de l’église anglicane à satisfaire les besoins religieux qui s’éveillent, le catholicisme y a fait dans ces derniers temps d’incontestables progrès. Ce symptôme, quelque explication qu’on en donne, est certainement une cause d’alarmes. Et que voit-on en France ? Un journalisme qui ne craint pas de dire : La liberté ne peut exister que pour nous, car nous seuls possédons la vérité, il n’y a pas de liberté pour l’erreur ; — un journalisme qui réhabilite les plus mauvais jours du moyen âge et les plus odieuses figures du XVIe siècle, qui admire la ligue, qui justifie la Saint-Barthélemy, qui glorifie le duc d’Albe ; un journalisme qui s’applique tous les jours à creuser un abîme entre la foi et la raison, entre l’église du Christ et l’esprit moderne, entre le christianisme et la révolution, comme si la révolution, dans tout ce qu’elle a créé de durable, n’était pas l’accomplissement des plus beaux préceptes de l’Évangile, et comme si le christianisme