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réflexions, lorsque, remontant dix années en arrière, on compare la conférence ecclésiastique du 15 juin 1847 au vote de l’ordre des prêtres dans la séance du 31 octobre 1857. Le clergé suédois accueillait alors avec faveur une prédication toute libérale ; le voilà retombé dans une fanatique intolérance. D’où vient cela ? J’ai indiqué déjà plusieurs causes, l’interruption des rapports intellectuels qui unissaient la Suède à l’Allemagne, l’insouciance des publicistes allemands, signalée aujourd’hui par ces publicistes eux-mêmes, — des polémiques irritantes suscitées tout à coup entre les deux peuples, la question des duchés, la guerre du Danemark et de la Prusse, enfin le scandinavisme obligé de se lever avec ses généreuses passions nationales en face des passions germaniques. Ces causes sont surtout littéraires et politiques ; il y en a d’autres plus spécialement religieuses, qui excusent peut-être, sans la justifier, l’intolérance obstinée de l’église suédoise. Quelles causes ? Il faut les dénoncer franchement : ce sont d’un côté les violences de l’athéisme hégélien vers 1848, de l’autre les fureurs du journalisme théocratique en France, en Belgique et en Piémont.

À l’époque de ses derniers rapports avec l’Allemagne, la Suède avait appris avec effroi les désordres de cette philosophie qui, en prétendant continuer Hegel, détruisait à la fois la science et la religion. On voit éclater ce sentiment de tristesse et d’épouvante dans la conclusion du discours de M. Fryxell. D’autres écrivains avaient éprouvé les mêmes inquiétudes et les avaient exprimées sans détours. Ces craintes de l’athéisme hégélien avaient pénétré assez avant dans la société suédoise pour qu’une femme, auteur de romans et de nouvelles, ait cru devoir se mêler à la polémique ; il suffit de rappeler ici que Mlle Frédérique Bremer a essayé de réfuter le docteur Strauss. Si la plume sentimentale à qui l’on doit les Voisins et la Fille du ’président n’a pas hésité devant une tâche manifestement au-dessus de ses forces, on devine l’attitude des théologiens et de leurs journaux. L’occasion était bonne pour mettre l’esprit suédois en garde contre l’influence germanique. Le principal organe des passions et des intérêts du clergé, l’Abeille suédoise (Svenska Biet), ouvrit en 1839 une campagne de plusieurs années contre les idées allemandes, et ce n’était pas seulement telle ou telle école réprouvée par les philosophes dignes de ce nom, ce n’était pas seulement l’athéisme de Feuerbach et de Bruno Bauer, le nihilisme de Stirner, le matérialisme de Charles Vogt, ce n’étaient pas seulement ces doctrines abjectes que condamnaient les théologiens de l’Abeille suédoise ; c’était toute recherche libre, tout libre exercice de la pensée. Schleiermacher lui-même, l’homme qui le premier en Allemagne a combattu l’incrédulité du XVIIIe siècle, l’orateur aux lèvres d’or qui, dans ses Discours sur la Religion, réveillait le sens des choses divines et vengeait le christianisme, Schleiermacher était suspect à l’église de Suède, parce que, comme saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, il associait le spiritualisme de Platon aux enseignemens de l’Évangile. Il y a quelques années, un jeune ecclésiastique, M. Ignell, est destitué