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est gagnée. Cette victoire si décisive nous impose des obligations impérieuses. Le temps du protestantisme destructeur est passé à jamais, l’heure est venue de faire grâce et d’exercer la justice. Rappelons-nous que notre église ne s’appelle pas seulement l’église protestante, elle est surtout l’église évangélique. Deux anges planent au-dessus d’elle, l’ange du protestantisme brandissant son glaive nu et tranchant, et l’ange de la réconciliation, le séraphin de l’Évangile, tenant en main la palme de la paix. » Ces images un peu altières étaient des précautions indispensables à l’orateur dans une assemblée de théologiens suédois ; je cite ces paroles pour indiquer les passions que M. Fryxell avait à combattre et le courage qu’il a déployé en réclamant le droit d’être juste.

M. Fryxell voulait donc prouver à ses confrères que l’heure de la justice avait sonné. Pour les convaincre, il raconta les différentes phases qu’a traversées la science historique en Suède depuis l’établissement du protestantisme. Il y a, selon lui, quatre époques, par conséquent quatre écoles diverses dans ce développement des idées : l’école spécialement protestante, l’école symbolique, l’école voltairienne, et l’école gothique. Ce tableau contient des renseignemens précieux, et mérite qu’on s’y arrête un instant. Lorsque M. Fryxell prononça son discours, il l’adressait surtout aux théologiens et aux lettrés de son pays ; depuis la dernière discussion sur la liberté religieuse, l’œuvre de l’éloquent pasteur a acquis un intérêt européen.

Les chefs de l’école spécialement désignée sous le nom de protestante sont les deux frères Olaüs et Laurentius Pétri, qui ont introduit le luthéranisme en Suède ; Un détail caractéristique, c’est que les histoires écrites par ces deux champions si résolus de la réforme sont beaucoup moins violentes contre le catholicisme que bien des histoires composées après la lutte. Comment expliquer cette modération inattendue chez des hommes qu’animaient les convictions du XVIe siècle ? M. Fryxell en donne une raison très significative. « Les deux frères, dit-il, en évitant les violences de la polémique, se conformaient à la politique de Gustave Wasa, qui voulait établir le protestantisme dans son royaume sans que le peuple soupçonnât l’importance de cette révolution. C’était, disait-on, une querelle particulière avec le pape ; on ne touchait pas à la doctrine consacrée par les siècles. » Ce fait explique maintes choses jusqu’ici fort difficiles à comprendre. N’est-ce pas sous l’influence de cette politique que s’est organisée l’église suédoise ? N’est-ce pas ainsi que beaucoup d’institutions catholiques, l’épiscopat, la hiérarchie ecclésiastique et jusqu’aux cérémonies de la messe, se sont perpétuées dans les états Scandinaves ? Il y a encore bien des points de la Suède où la tradition, plus forte que les dogmes nouveaux, a conservé la confession auriculaire : les paysans vont trouver le pasteur, comme leurs ancêtres, il y a trois cents ans, allaient trouver le prêtre catholique, et bon gré, mal gré, le pasteur reçoit les aveux du chrétien repentant. La modération des premiers réformateurs suédois n’est-elle donc qu’une œuvre de calcul et un moyen de tromperie ? Non certes,