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Ces causes politiques ne sont pas les seules qui aient nui aux rapports de l’Allemagne et de la Suède ; il faut signaler aussi des causes morales. Si l’Allemagne cherche à envahir le Danemark, si les habitans du duché de Holstein, attachés par les traités à la confédération germanique, veulent attirer à eux les Allemands du Slesvig sujets de la monarchie danoise, l’Allemagne, d’un autre côté, a trop renoncé vis-à-vis des Scandinaves aux conquêtes légitimes, aux conquêtes de l’intelligence et de la civilisation. J’ai parlé de l’insouciance de l’Allemagne dans ses rapports littéraires avec la Suède ; cette insouciance a été aussi grande et aussi fatale que son ardeur d’envahissement dans le domaine politique. On ne peut interroger l’histoire littéraire des trente dernières années sur le rôle que les lettres allemandes ont joué chez les peuples Scandinaves, sans être très frappé de cette situation. Les Allemands, qui étudient tout, étudient assurément le Danemark et la Suède : ils connaissent le mouvement de l’esprit public dans ces deux pays, ils suivent leurs travaux littéraires, ils les traduisent, ils les classent avec ordre ; mais ils ne se préoccupent pas d’exercer une action sur ces esprits qui naguère encore relevaient de leur influence. Ils sont attentifs à toutes les grandes questions où l’Europe est engagée, à toutes les crises qui la tourmentent ; celles qui s’agitent à Stockholm, à Upsal, à Christiania, semblent ne pas les toucher. Un seul exemple suffira : l’église luthérienne de Suède compromet le protestantisme aux yeux du monde, et l’Allemagne, qui aurait dû être la première à lui adresser de solennelles remontrances, l’Allemagne, pendant vingt ans, a laissé grandir ce scandale sans songer à le flétrir.

J’ai consulté les principaux écrivains qui ont essayé de faire connaître au public allemand la situation du monde Scandinave ; presque tous se taisent sur la question religieuse. Mme la comtesse Hahn-Hahn a visité la Suède, et elle a raconté son voyage dans un livre qui a fait un certain bruit. De quoi s’occupe la comtesse Hahn-Hahn ? D’elle-même d’abord, et puis du temps qu’il fait. De maussades épigrammes contre la nature et le climat de la Suède, contre le brouillard et la neige, contre la ville et la campagne, une prétentieuse ironie, un dédain superficiel des hommes et des choses, nulle étude, nulle attention sérieuse, tel est ce livre. Voici, en revanche, un écrivain spirituel et savant, M. Édouard Boas, qui publie ses souvenirs de voyage sous ce titre : En Scandinavie. M. Boas est un observateur sympathique ; ses descriptions de la nature du Nord, ses tableaux de la vie populaire et de la vie des salons, ses études sur les littérateurs et les artistes, révèlent un vif sentiment de la poésie ; mais ne lui demandez pas de renseignemens sur l’état de l’église de Suède. Est-il vrai que le clergé luthérien y exerce un despotisme absolu sur les âmes ? Est-il vrai qu’une loi impitoyable y opprime la conscience religieuse ? Comment expliquer ces contradictions inouïes chez une nation protestante ? Autant de questions qui semblent fort indifférentes à M. Boas. À part quelques mots sur le pompeux costume des prêtres