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le Sumbing, qui se trouve au milieu de l’île, était « le clou qui avait servi à fixer Java contre la terre. » On trouve des restes de monumens religieux à des hauteurs très considérables. Sur le plateau élevé qui forme le fond de l’ancien cratère du volcan Dïeng, il y a des milliers de blocs cubiques, débris des anciens temples. Ils étaient simplement formés par une suite de terrasses entourées de murailles, disposées en étages successifs sur les pentes de la montagne, et reliées l’une à l’autre par des escaliers. Sous le gazon et entre les racines des casuarines, on retrouve des sculptures, des bas-reliefs, quelquefois de grossières statues. La religion hindoue s’éteignit bientôt dans la solitude terrible des cratères ; des forêts vierges recouvrirent les pierres disjointes des temples écroulés, qui ne furent plus visités que par les rhinocéros, les chats et les bœufs sauvages. Ce n’est qu’à une époque très récente que la hache de l’homme vint frayer de nouveaux chemins sur ces hauteurs abandonnées, et qu’on retrouva les blocs taillés souvent à demi décomposés par les vapeurs volcaniques, les seuils sacrés que la végétation active des tropiques avait si promptement envahis : découvertes précieuses, même pour le géologue, car partout où l’on retrouve des ruines de temples, on peut conclure que le volcan passait pour éteint avant l’invasion de l’islamisme.

Aujourd’hui les seuls Javanais qui soient restés fidèles.au culte de Siva habitent le fond de l’immense cratère du volcan Tengger, plaine élevée qui porte le nom de Mer de Sable. Tous les ans, ils célèbrent une fête solennelle, et vont comme en sacrifice verser du riz dans le cratère du cône d’éruption toujours actif qui s’élève au milieu de la Mer de Sable. C’est le sentiment d’un danger éternel et mystérieux qui a entretenu si longtemps les grossières croyances de cette colonie isolée, et, au lieu de s’en étonner, on serait plutôt surpris que cette terreur naturelle n’ait point corrompu la religion mahométane dans ces régions, si l’on ne savait que le fatalisme" le plus absolu en fait le fond. C’est avec une égale indifférence que le Javanais mahométan se soumet à une tyrannie étrangère et aux effets irrésistibles des forces de la nature. Pourvu qu’il puisse, étendu sur une natte, écouter les chants des tourterelles enfermées dans des cages, rêver aux sons doux et mélodieux du gamelang, son instrument favori, ou regarder les danses gracieuses des ronggengs, il est heureux. Il oublie que le volcan voisin peut tout à coup s’irriter, vomir des nuages de fumée qui plongeront la contrée entière dans une nuit profonde, et que des torrens dévastateurs, descendus de la montagne, peuvent ensevelir les rians villages, les arbres et les champs cultivés, sous un linceul de limon fumant.

Musulmans ou sivaïtes, les habitans de Java ne sauraient donc