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vaient plus que dire, Louise pria sa mère de se retirer un moment, et dès que celle-ci fut sortie : « Dites-lui que je lui pardonne, murmura-t-elle en tendant la main à Charles ; dites-lui que je ne l’ai jamais accusé un instant, que le mal qu’il m’a fait n’a pas dépendu de lui, que c’était à moi de me défendre, que j’ai succombé parce que je l’aimais follement, et que son abandon n’a été que la juste punition de ma faute. J’ai oublié le bon Dieu pour lui, et, quand il n’a plus voulu de moi, je suis revenue au bon Dieu. J’ai été bien malade, et la maladie a été longue, la convalescence plus longue encore. J’ai cru bien des fois que j’en mourrais ; mais il paraît que je suis bonne encore à quelque chose sur la terre. » Elle leva douloureusement les yeux au ciel et n’acheva point sa pensée. Charles insinua quelques mots vagues sur les sentimens que je conservais pour elle. Elle lui répondit qu’il me jugeait mal, que j’avais une jeune femme charmante, que c’était elle que j’aimais et que je devais aimer ; puis tout à coup : « Je l’ai vue, je lui ai parlé, elle est venue ici. Elle paraît bien douce et bien bonne. Savez-vous une chose ? ajouta-t-elle en baissant la voix ; ce que je désire par-dessus tout, c’est de voir son enfant. » Elle l’entretint alors longuement de moi, et comme on parle d’un ami mort ou qu’on ne doit plus revoir. Elle finit par lui assurer que ses forces revenaient tous les jours, qu’elle serait bientôt en état de travailler, et que la joie et l’abondance reparaîtraient dans leur petit ménage. Il la supplia encore d’accepter de lui quelques avances, ajoutant qu’elle les lui rendrait, que c’était une preuve d’amitié qu’il lui demandait. Elle refusa avec une fermeté invincible, lui répétant qu’elle ne manquait de rien, qu’elle regarderait de nouvelles instances comme une injure, et, pour couper court à ce débat pénible, elle rappela sa mère. Celle-ci rentra, ne souffla mot, et Charles se retira en réclamant de Louise la permission de revenir.

Voilà ce que Charles B… m’a raconté, voilà leur entrevue ; mais combien de choses m’ont échappé dans ce récit ! combien lui ont échappé à lui-même, et que je devine !

Ainsi elle a souffert, elle a pleuré, elle a perdu la santé qui lui donnait du pain, elle a langui pendant six mois entre la vie et la mort, elle a supporté les soins et les plaintes de sa mère, elle m’a vu heureux fils, heureux époux, heureux père, et tout cela pour prix de ma barbarie envers elle ! Elle a repoussé l’argent que je lui offrais, la tendresse que d’autres lui auraient vouée, les secours que des amis lui proposaient ; elle est restée seule dans l’abandon, dans la douleur, dans la maladie, dans la pauvreté, et elle me pardonne !…

Au milieu de mes remords, il en est un qui s’acharne après moi, qui me ronge, qui me déchire. J’ai voulu un jour l’isoler, la séparer à jamais de sa mère. Malheureux, si j’avais réussi ! Si je lui avais