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sard, en allant visiter nos petits orphelins. » Et comme je fixais sur elle des yeux égarés, elle ajouta : « Tu ne l’as pas oubliée, j’espère ? » Pauvre femme ! pensai-je, si tu savais que depuis deux jours c’est toi que j’oublie pour elle ! Elle continua : « J’ai une petite somme en réserve, qui n’est pas bien considérable, que je destinais à mes aumônes particulières : l’idée m’est venue de la donner tout entière à cette belle jeune fille ; maman a prétendu que c’était trop, et de là notre dispute. » Elle me tendait une tasse en prononçant ces derniers mots. Je la pris, et mes lèvres s’abaissèrent sur sa main, et je retins sur ma paupière une larme brûlante. « Ma mère a tort, lui dis-je après un instant. Offrez à cette jeune fille tout ce qu’il vous plaira, à elle comme aux autres personnes que vous secourez ; ma caisse ne vous sera jamais fermée. » Elle sauta de joie, triompha gentiment de sa belle-mère, nous embrassa tous, et ne parla plus tout le reste de la soirée que du plaisir qu’elle aurait à porter deux cents francs à la pauvre Louise. A mesure qu’elle parlait, mon émotion croissait, et pour leur dérober mes sanglots, je me suis retiré précipitamment.

Léon, j’ai ri quelquefois de leur charité et de ces aumônes qu’elles prodiguaient et qu’elles plaçaient mal selon moi. Je ne réfléchissais pas que les vertus de nos femmes rachètent bien souvent nos propres fautes ; je ne réfléchissais pas que leur main délicate peut panser la blessure que la nôtre a faite ; je ne croyais pas enfin que, pour parvenir jusqu’à la maîtresse abandonnée, un secours, si faible qu’il lut, devait être purifié par la charité de l’épouse !

Je te raconte cela avant de t’avoir rapporté ma conversation avec Charles B…, et tu ne peux par conséquent apprécier encore l’émotion que m’a causée ce nouvel incident. Tu sentiras mieux tout à l’heure avec quelle joie navrante et intéressée j’ai applaudi à la générosité de ma femme. Pardonne-moi cette lettre sans suite, et que j’écris pour me calmer, pour fixer mes idées plutôt que pour te les communiquer. Un jour, et puisse-t-il venir bientôt ! nous serons réunis, et nous causerons de toutes ces choses. En attendant, laisse-moi souffrir, laisse-moi pleurer, laisse-moi enfin te parler d’elle.

Elles habitent toujours le même rez-de-chaussée où je les ai connues. Seulement le logis a perdu son air d’aisance et de propreté. Les vitres sont ternes ; des rideaux noircis et déchirés pendent aux fenêtres. Les meubles ne brillent plus comme autrefois, quelques-uns même sont absens, et la mère et la fille ont cherché inutilement une bonne chaise pour faire asseoir mon ami. C’est sous ce titre que Charles s’est présenté, car, ainsi que je te l’ai marqué, le regard de Louise a semblé lui dire : Vous venez de sa part. Après le premier moment de surprise et d’embarras, il hasarda quelques mots sur