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reau. Que sont les considérations fausses et ridicules qui m’ont éloigné de ma maîtresse auprès de ce sentiment impérieux qui me ramène à elle ? L’amour est la seule étincelle divine qui reste en nous ; plutôt que de l’éteindre, ne vaut-il pas mieux en être consumé ? Je suis libre encore, je puis épouser Louise, et ma mère nous pardonnera quand une fois elle l’aura connue. Nous quitterons B…, ma mère ne s’y plaît pas. D’ailleurs ma sotte condescendance pour nos usages eût fait le malheur de trois personnes, celui de Louise, celui de Mlle D…, le mien, car Louise n’a jamais cessé de m’aimer. Elle n’est point la maîtresse d’Edouard S… Elle l’a reçu peut-être sur les conseils de sa mère, elle l’a reçu pour m’inspirer de la jalousie, pour tenter ce dernier moyen. J’ai encore eu ce matin l’occasion d’apprécier toute l’élévation de son caractère. Je l’oubliais, j’ai la tête perdue : elle m’a renvoyé ces vingt mille francs, avec quelques lignes où son cœur s’efforce en vain de ne point parler. Elle a défendu à sa mère de rien recevoir de moi, elle lui a juré de la quitter pour toujours, si elle acceptait la moindre chose. Je suis allé chez la mère de Louise, je l’ai suppliée de les reprendre, de le cacher à sa fille ; mais Mme Morin était encore épouvantée de la colère de cet agneau, elle n’a rien voulu entendre. Louise était absente. Si elle était rentrée en ce moment-là, mon sort serait fixé ; que dis-je ? il est fixé. Mon sort est de l’aimer. Nous fuirons ensemble, nous irons te rejoindre à Paris ; mon absence apprendra tout à ma mère. Tu ne recevras cette lettre que lorsque j’aurai décidé Louise à s’enchaîner irrévocablement à moi.

Il est huit heures : je partais pour me rendre chez Louise, on me remet ta lettre. Tu arrives, tu accours, appelé par ma mère, qui a voulu me faire une surprise, dis-tu. Elle t’invite à mon mariage, qui doit se conclure très prochainement. Oh ! je devine : elle a lu dans mes regards le drame affreux qui se joue au fond de mon cœur ; elle a besoin d’un auxiliaire, elle t’appelle à son aide. Oh ! ne viens pas, ne viens pas ! Maudite soit notre amitié si elle me détourne de la route que j’ai choisie ! Ne viens pas, je t’en conjure… Mais ma lettre est inutile maintenant, il est trop tard. N’importe ! je te l’envoie, elle t’arrêtera peut-être.


18 mai.

Ma mère et ma femme me prient de t’écrire pour te remercier de ce long mois que tu nous as consacré. Qu’elles sont loin de soupçonner le service que tu leur as rendu ! Elles l’ignoreront toujours, mon cher Léon. Elles ignoreront toujours qu’elles te doivent, l’une son mari, l’autre son fils.

Quant à moi, j’ai aussi des remerciemens à t’adresser. Maintenant