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chaque nuit sur les hautes montagnes de l’intérieur indiquaient cependant qu’au-delà de cette zone dévastée, d’apparence si ingrate, il pouvait exister des plateaux couverts de forêts et des vallées propres à la culture.

Il est peu de parages au monde que je n’aie visités dans le cours de mon active carrière : je n’en ai jamais rencontré où la navigation fût plus périlleuse que sur cette côte inexplorée de la Nouvelle-Calédonie. Chaque fois que mes souvenirs me reportent à cette époque si intéressante de ma vie, j’en conçois une admiration plus grande pour la persévérance et la rare intrépidité dont je fus alors témoin. Longer avec des bâtimens tels que les nôtres, et malgré des vents violens battant presque toujours en côte, une ceinture infranchissable de récifs, dont la sonde n’indiquait jamais l’approche, au pied desquels on pouvait venir se briser sans avoir la ressource suprême de jeter l’ancre, c’était une tâche digne des excellens officiers qu’on nous avait donnés pour chefs, et que leur habileté seule pouvait accomplir. Il nous fallut quatorze jours pour déterminer ainsi pas à pas la configuration de cette île et du brisant qui l’enveloppe ; mais où l’île finit, le brisant ne cesse pas encore : nous le retrouvâmes, souvent à l’improviste, sur un espace de plus de cinquante lieues. Semé de quelques îlots, interrompu par de larges coupures que nous n’eûmes pas le temps d’explorer, ce récif semble le prolongement sous-marin de la Nouvelle-Calédonie.

Nous avions lieu d’être satisfaits des résultats considérables obtenus en moins de huit mois de campagne. Ce n’était cependant qu’une faible partie des importans travaux qu’il nous était recommandé d’accomplir. Le temps des grandes découvertes était passé : on ne pouvait, comme au XVe et au XVIe siècle, se flatter de voir apparaître sur sa route des continens nouveaux, et conserver un chimérique espoir que le second voyage de Cook avait fait évanouir ; mais il restait à fixer les contours et à déterminer les véritables positions de ces côtes immenses, de ces archipels sans limites, dont les navigateurs hollandais et espagnols n’avaient fait qu’entrevoir quelques points. En 1772, un officier français, M. de Saint-Alouarn, était venu atterrir près du cap Leeuwin, à la pointe sud-ouest de la Nouvelle-Hollande. À partir de cette pointe, il avait aperçu une côte courant à perte de vue vers l’est-nord-est. On savait que cette partie des terres australes portait le nom du capitaine hollandais Pierre Nuytz, qui l’avait découverte en 1627, et c’était à peu près tout ce qu’on en connaissait. M. de Saint-Alouarn n’était point pourvu des instrumens nécessaires à une exploration hydrographique : il n’ajouta que des renseignemens assez vagues à ceux que les Hollandais nous avaient transmis. Tracer la configuration de la terre de Nuytz,