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J’étais très ému. Ce que je venais d’entendre avait éveillé en moi des idées pénibles : j’avais besoin de recueillement et de solitude ; mais Louise m’attendait. Je courus au pavillon, je lui contai les bontés de mon père et ses douces plaintes sur mes absences de tous les soirs. Elle a été la première à me conseiller de me partager entre elle et mes parens. Avec quelle tendresse, avec quelle reconnaissance je l’en ai remerciée ! Elle m’a beaucoup interrogé sur mon père, qu’elle n’a jamais vu qu’une fois, m’a-t-elle dit, mais qui lui a plu au premier abord. Hélas ! si elle savait, si je lui avais répété tout ce qu’il m’a dit !

Je n’ai pu fermer l’œil. Louise s’est endormie. À la lueur incertaine de la veilleuse, je la regardais avec un vague sentiment de tristesse. Bientôt mon cœur se gonfla, mes larmes coulèrent ; mais elles ne l’ont pas réveillée.


24 novembre.

Il nous faut quelquefois, mon cher Léon, expier bien cruellement nos résolutions les plus généreuses.

Je viens de passer une dizaine de jours dans les transports, dans les jalousies, dans les soupçons, dans les tempêtes de l’amour. Mon bonheur est comme foudroyé. Les douces, les calmes, les enivrantes soirées du pavillon ne sont plus à présent qu’un songe évanoui. L’amante craintive et dévouée s’est transformée en maîtresse capricieuse et absolue. Je ne la reconnais plus, si ce n’est à mon amour, amour étrange, qui semble s’accroître de ce qui devrait le détruire. Autant j’ai été heureux par Louise pendant une année, autant je souffre par elle depuis ces dix jours. Elle le sait, je le lui ai dit, je le lui ai répété mille fois : elle n’est plus même accessible à la pitié. C’est une maladie sans doute, une crise douloureuse qui passera. Je retrouverai celle que j’aime, celle que j’ai perdue, la Louise que tu connais… Mais je me laisse entraîner à des plaintes incohérentes, et j’oublie que je ne t’ai rien dit et que tu ne peux me comprendre. Je vais essayer de mettre un peu d’ordre dans mes idées, et de remonter avec toi le triste chemin que j’ai parcouru. Je sens que je ne pourrai marcher bien vite, et que je m’arrêterai plus d’une fois pour me plaindre, pour accuser le sort, pour pleurer dans tes bras.

Tu n’as pas oublié que je te disais dans ma dernière lettre que Louise avait très bien compris ma position vis-à-vis de mon père. Elle avait été au-devant de mon désir, désir très naturel et dicté par un devoir ; elle m’avait permis de partager mes soirées entre elle et ma famille. Le lendemain, je reçois un petit mot d’elle. Malgré ce dont nous étions convenus, elle me priait de venir le soir au pavillon ; elle le voulait, il le fallait. — Je fus très surpris et en même temps très inquiet. J’avais promis à mon père de rester avec lui le soir, je ne pouvais manquer à cette promesse. D’autre part, l’in-