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sais ce que c’est d’ailleurs, et c’est moi qui me charge de la soigner. Maintenant vous allez vous retirer. » J’obéis, voyant bien que ma présence redoublait l’agitation de Louise. Mme Morin me reconduisit en grommelant jusqu’au seuil de la porte, et répéta ces mots, qui m’avaient si fort troublé : « C’est votre faute. Oh ! les hommes ! »

Ces mots ne me sortent plus de l’esprit. Je me rappelle aussi certaines réticences, certains regards qui ne devraient plus même me laisser un doute. Ô mon ami ! si Louise… Je ne te l’ai pas dit, je l’ai toujours caché à la pauvre fille ; mais je sens qu’un enfant me lierait à elle pour la vie, et que je puiserais dans ce sentiment nouveau, dans le sentiment de la paternité, une force de résolution que je demande en vain à mon amour.


9 septembre.

Elle va mieux. On m’a permis ce soir de passer une heure auprès d’elle. Nous avons causé d’abord bien doucement, à voix basse ; puis, de peur de la fatiguer, je lui ai proposé de lui lire quelque chose. Pendant que je lisais, ses yeux se sont fermés, et je baissais le ton, et je la regardais du coin de l’œil. Enfin elle s’est endormie, et je l’ai contemplée longtemps dans son sommeil d’ange.

Je ne me suis encore informé de rien. J’ai préféré garder ma chère espérance.


25 septembre.

Qu’il faut peu de chose pour nous bouleverser ! Qu’est-ce que ce bonheur que nous croyons si solide, et qu’un grain de sable ébranle ? Tu vas sans doute me trouver absurde. Il n’importe. Je ne suis pas tranquille quand j’ai quelque chose qui me préoccupe, et que je ne t’ai pas confié.

Quoique Louise soit toujours un peu languissante, nous avons repris nos rendez-vous du pavillon. C’est elle qui l’a voulu ; elle s’est aperçue que sa mère recommençait à me devenir insupportable. J’avais allumé un bon feu dans le petit salon, car les soirées sont déjà fraîches, et je l’attendais sans trop d’impatience cette fois, mais avec cette tendre et vague inquiétude inséparable de l’amour. Elle arriva toute frissonnante ; je la fis asseoir dans un grand fauteuil, bien près du feu, et je pris ses mains dans les miennes pour les réchauffer. Elle fut bientôt tout à fait remise, et nous causâmes gaiement du mal passé. Tout à coup elle me dit : « Sais-tu bien de quoi j’avais peur ?… » Ces mots, que j’avais compris, me glacèrent, elle sentit ma main trembler dans la sienne ; mais au lieu de m’expliquer là-dessus avec elle, je changeai brusquement d’entretien, et elle s’imagina sans doute que je partageais sa crainte, et que c’était cela qui m’avait fait tressaillir.