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mon bras, et au bout de quelques secondes nous sommes au gîte. Il n’y a dans le pavillon que deux chambres disposées et meublées de la façon la plus confortable, la plus élégante même. Des volets doubles empêchent qu’on ne voie du dehors s’il y a de la lumière. Le salon est tendu d’une jolie perse verte semée de roses et de lilas. Rien n’y manque. Il y a jusqu’à une bibliothèque. La première fois que j’y vins avec Louise, lorsque son émotion fut calmée, elle admira tout ce luxe et me complimenta sur mon goût. Par malheur je ne pus accepter le compliment. Ce mystérieux réduit a été décoré par les soins d’un de mes amis et à l’intention d’une belle dame qui l’honore de ses bontés. Le nid prêt, la frayeur l’a prise. Elle a mieux aimé continuer à recevoir chez elle son amant, qui est quelquefois forcé de se cacher dans une armoire, comme Charles-Quint dans Hernani. Je te conterai cette histoire un autre jour. Il m’a tout cédé au prix coûtant, non sans pousser quelques soupirs de regret. Il est heureux toutefois, m’a-t-il dit, que son œuvre ne soit point profanée par des amours vulgaires. Tu ne peux t’imaginer, mon cher Léon, quelles délices nouvelles a procurées à mon amour ce simple changement d’abri. C’est l’idylle des premiers jours qui recommence. Ici je possède Louise tout entière (car c’est de notre cher pavillon que je t’écris) ; ici mon rêve est complet, et rien ne me rappelle au triste sentiment de la réalité. Je sens mon amour croître avec le gazon, avec les feuilles des arbres, avec les primevères et les violettes. Que le printemps est beau quand on aime ! Louise me quitte d’ordinaire lorsqu’il fait à peine jour. J’avais remarqué que les hommes qui viennent travailler dans les jardins voisins s’en vont à midi pour dîner. Je lui ai persuadé de rester aujourd’hui jusqu’à midi. J’avais hâte d’admirer avec elle le paysage magique qu’on découvre de nos fenêtres et qu’elle n’avait jamais vu encore. Le soleil s’est levé pour nous dans toute sa splendeur. Le ciel était d’un bleu clair qui faisait penser aux anges. Au bas du jardin et presque à nos pieds, la L… roulait son flot tranquille, et sur l’autre rive les maisons, les fabriques, les champs, et plus loin les coteaux qui verdissent émaillés de blanches villas, et au fond, à l’horizon, et comme un cadre d’or, la mer étincelante. Louise se cachait derrière les rideaux, elle n’osait jouir en paix de ces présens du bon Dieu. Elle voit toujours des yeux fixés sur elle, elle craint toujours quelque propos indiscret, non pour sa réputation, qu’elle me sacrifierait de bon cœur, mais parce qu’on pourrait nous tourmenter, troubler notre bonheur, avertir mon père. Vous avez beau dire, messieurs, vous avez beau nous vanter vos femmes intrépides ; ce sont toutes ces faiblesses, toutes ces appréhensions qui font la force d’une maîtresse. Je l’aimerais moins si elle était plus brave, et,