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d’avoir assez d’eau pour flotter. Cette découverte faite à l’extrémité d’un nouveau continent sans cesse battu par d’épouvantables tempêtes, sur le point même où Tasman et les navigateurs qui l’avaient suivi n’avaient voulu voir qu’un golfe périlleux dont ils avaient rendu le nom même redoutable aux marins, cette découverte était déjà un des plus mémorables services que l’on pût rendre à la navigation. En passant dans le canal dont la Truite et la Burance leur avaient ouvert le chemin, les futurs explorateurs des mers australes éviteraient les fréquens coups de vent auxquels on doit toujours s’attendre lorsqu’on double un des caps qui terminent les grandes masses continentales du globe. Une température douce, quoique assez inégale, du moins en cette saison, des collines couvertes d’arbres, des ruisseaux abondans et limpides, des vallées et des plaines toujours vertes, des rivages toujours poissonneux, tout prêtait à ces lieux un charme inexprimable. Chacun de nous, fier de la part qu’il pouvait revendiquer dans ce premier résultat de notre expédition, se plaisait à prévoir par quelles inépuisables largesses cette terre vierge récompenserait les efforts des hommes industrieux qui vou- draient la féconder.

Nous étions à peine à deux milles du dernier goulet, que déjà les pointes qui en forment l’entrée s’étaient confondues avec les terres environnantes, et qu’il eût été impossible de soupçonner un détroit au fond de ce golfe. L’erreur de Tasman était donc non-seulement excusable, mais se fût sans aucun doute renouvelée pour nous, si la fortune ne nous eût pour ainsi dire conduits par la main. Sans le faux relèvement du rocher d’Eddystone, nous n’aurions, comme nos devanciers, songé à jeter l’ancre que dans la baie de l’Aventure. Après y avoir séjourné quelque t« mps, nous aurions soigneusement repris la route de Tasman, de Marion, de Furneaux et de Cook, évitant par-dessus tout de nous engager dans la sinistre baie des Tem- pêtes, ce nouveau golfe de la Syrte que la carte de Yalentyn ouvrait à tous les vents. Bien des navigateurs nous auraient probablement suivis, sans avoir la pensée que la baie des Tempêtes pouvait en réalité valoir mieux que son nom. On eût continué à chercher des mouillages sur le pourtour extérieur où Furneaux avait trouvé la baie de l’Aventure, où Tasman et Marion avaient rencontré la baie de Frederik-Hendrikx ; on eût longtemps encore respecté l’anathème dont Gook et Tasman avaient frappé les profondeurs du golfe dans lequel ils s’étaient abstenus de pénétrer, de peur de n’en pouvoir plus sortir. Grâce à notre heureuse méprise, ces préjugés se trouvaient dissipés. L’Europe allait savoir que, sur aucun point du monde, il n’existait des côtes mieux découpées, des rades plus spacieuses, des ports d’un accès plus facile qu’à l’extrémité méridionale