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découpures de ces deux rives des rades assez vastes pour contenir toutes les flottes du monde. Nos plus anciens marins n’avaient jamais rien vu qu’ils pussent comparer à ce magnifique spectacle. Pour ne pas laisser imparfaite une exploration si importante, on résolut d’y employer le jour même toutes les ressources de l’expédition, et chacun, à bord des deux corvettes, s’offrit avec empressement pour y concourir. Des embarcations furent expédiées dans toutes les directions avec la mission de visiter les divers embranchemens du canal. J’obtins la faveur de prendre part à ces explorations. Le bras de mer dans lequel nous nous engageâmes s’enfonçait à perte de vue vers le nord-ouest. Il eut fallu plusieurs jours pour en faire la reconnaissance. La brise cependant, nous favorisait, et nous refoulions rapidement le courant. Partout la sonde trouvait de 10 à 12 brasses d’eau. La côte que nous laissions à notre gauche s’élevait graduellement ; elle était couronnée d’arbres gigantesques moins serrés que sur les autres points du littoral. De distance en distance s’ouvraient des clairières qui promettaient un facile accès dans l’intérieur. Séduits par cet aspect, nous nous rapprochâmes de terre et cherchâmes des yeux l’endroit le plus convenable pour y échouer notre canot et y passer la nuit. À notre grande surprise, nous reconnûmes que, sur un espace assez considérable, le rivage se composait d’un seul roc très uni, ne s’élevant que de quelques pouces au-dessus du niveau de la mer et ayant toutes les apparences d’un quai immense préparé par la main des hommes. Au pied de ce quai, chef-d’œuvre de la nature, nous ne trouvâmes pas moins de 9 brasses d’eau sur un fond de vase. Les plus grands vaisseaux auraient pu s’y amarrer ou s’y abattre en carène, sans courir le moindre danger. Après avoir passé la nuit sur cette côte, nous nous rembarquâmes pour continuer nos recherches ; mais une nouvelle journée d’exploration inutile nous fit renoncer à l’espoir de découvrir une communication avec la haute mer. Les vents d’ailleurs, en fraîchissant beaucoup, nous étaient devenus contraires ; nos vivres étaient à peu près épuisés. Nous nous décidâmes à regret à rejoindre la Durance, où notre arrivée était impatiemment attendue.

Un autre canot, commandé par un des officiers de la Truite, avait reçu l’ordre de se diriger dans un sens presque perpendiculaire à celui que nous avions dû suivre. C’était à cette embarcation qu’était réservé l’honneur que nous nous étions crus sur le point d’obtenir. En continuant à gouverner à peu près au nord-nord-est, l’officier qui montait le canot de la Truite avait vu le canal se resserrer insensiblement, le courant devenir plus vif, et dans un grand éloignement s’ouvrir un goulet d’un mille à peine de large, à l’extrémité duquel il avait distinctement aperçu la haute mer. Revenant