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« Que chaque rameau se lève
Comme mes bras et mes yeux !
Porte en haut toute ta sève !
Que ta cime avec mon rêve
Se dérobe dans les cieux !

« Peuplier, tu seras sur ce tertre que j’aime
Des regrets de mon cœur le plus fidèle emblème. »

Sur la tombe d’hier, l’amant s’est prosterné,
Pour y planter un saule au feuillage incliné :
« Penche-toi, dit-il, et pleure
Sur ma maîtresse aux yeux bleus,
Arbre de deuil ! A toute heure
Suis mon amour, suis mes vœux !

« Que ta chevelure touche
Enfin le terrain sacré
Et vienne, ainsi que ma bouche,
Caresser la froide couche
Où dort mon ange adoré !

« O saule, tu seras sur ce tertre que j’aime
Des regrets de mon cœur le plus fidèle emblème ! »


II


PLEURS D’HOMME.


Souviens-toi, chère enfant, que tu m’as vu pleurer !
Une larme de femme est comme la rosée
Qui se forme aisément et ne saurait durer,
À tous les vents du ciel librement exposée ;

Parure toutefois qui doucement reluit
Au sein des belles fleurs qu’elle embellit encore :
Blanches perles tombant du manteau de la nuit,
Ou rubis détachés des cheveux de l’Aurore.

Mais une larme d’homme est comme la liqueur
Du pin des hauts pays ; c’est la résine ardente.
Pour trouver la résine on doit percer le cœur
Où la noble substance en secret s’alimente ;

Dans l’écorce de l’arbre il faut plonger le fer ;
Mais, quand l’entaille est faite et la route aplanie,
La brillante liqueur jaillit comme un flot clair :
C’est l’or en fusion, c’est le sang, c’est la vie !

L’arbre souffre ; pourtant il ne veut pas mourir :
Il arrête son sang et revit dans sa force,
Songeant aux voluptés des printemps à venir…
Mais la blessure est là, béante dans l’écorce !