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heure. Les rafales cependant devinrent bientôt si fortes ; que, sous cette voilure, les corvettes atteignirent, en fuyant vent arrière, un sillage de dix nœuds à l’heure. Ce fut la seule fois de toute la campagne qu’elles se permirent une pareille vitesse.

Quand le vent est presque toujours favorable, les plus mauvais marcheurs finissent par arriver. Vingt-trois jours après avoir reconnu l’île d’Amsterdam, nos observations astronomiques nous indiquèrent que nous touchions au terme de cette traversée. La première terre que nous aperçûmes fut le rocher de Mewstone, situé à une vingtaine de milles de la pointe sud-ouest de la terre de Van-Diémen. Nous étions à la fin du mois d’avril, c’est-à-dire à l’entrée de l’hiver dans les mers australes. Il ventait grand frais, et il était fort désirable de pouvoir avant la nuit s’assurer un bon mouillage. L’intention de l’amiral était de se rendre dans la baie de l’Aventure, découverte par le capitaine Furneaux en 1773, et où le capitaine Cook avait relâché en 1777. L’amiral espérait, d’après la description qu’en avait faite ce célèbre navigateur, y rencontrer un abri convenable et toutes les facilités possibles pour remplacer l’eau et le bois dont nos corvettes avaient un pressant besoin. Nous courions vers une côte dont la configuration nous paraissait se rapporter à celle que le capitaine Cook avait assignée à la baie de l’Aventure ; mais, trompés par un faux relèvement du rocher d’Eddystone, nous nous trouvions en réalité à près de vingt-cinq milles dans le sud-ouest de ce mouillage, et nous donnions à pleines voiles dans une baie complètement inconnue. Cette méprise n’était pas sans gravité, car, lorsque nous nous aperçûmes de notre erreur, il était déjà bien tard pour revenir sur nos pas, et l’on voyait au large des brisans que nous aurions eu beaucoup de peine à doubler. Heureusement le vent soufflait par-dessus la terre, et à mesure que nous nous enfoncions dans la baie, la mer devenait moins grosse. La sonde annonçait une bonne qualité de fond, et la nuit approchait. Cette dernière considération suffit pour nous déterminer à laisser tomber une ancre. Nous ne soupçonnions pas alors à quel point le hasard nous avait bien servis, et quelle importante découverte serait due à notre erreur.

Dès le lendemain, nos embarcations reconnurent, en visitant le fond de la baie à l’entrée de laquelle nous avions passé la nuit, un bassin spacieux, fermé à tous les vents, entouré de terres élevées, où la mer, transparente et unie comme une glace, ne laissait soupçonner ni hauts-fonds ni écueils. Sur la côte occidentale, un filet d’eau douce venait, en murmurant, se jeter à la mer. Près de l’embouchure de ce ruisseau, on avait remarqué quelques débris de huttes construites avec des branches flexibles et des écorces d’arbres ;