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des désœuvrés indifférens et inconnus les uns aux autres, qui assistent au spectacle et ne s’y mêlent pas, y prennent plaisir ou ennui sans jamais y prendre part, y donnent leur attention et leur émotion, rien de plus, et en sortent à minuit, emportant pour profit de leur soirée cette utile idée qu’ils se sont bien amusés ou bien ennuyés, et que tel ou tel acteur a bien ou mal joué. Quant à la pièce, nous savons tous que c’est une pure fiction et que rien de tout cela ne nous touche et ne nous regarde. Étranger à nos affaires et à nos habitudes de chaque jour, le théâtre a seulement sa place dans nos récréations.

L’union du public et du théâtre est le caractère essentiel des mystères du XIVe et du XVe siècle. Les moralités et les soties, qui tiennent de près aux mystères, quoiqu’elles s’en distinguent par les sujets et plus encore par les confréries ou corporations qui avaient le privilège de jouer ces diverses pièces, les moralités et les soties ont le même caractère. Elles mettent aussi le public de plain-pied avec le théâtre.

Au XVIe siècle, tout change : l’Europe moderne s’enivre de l’antiquité, et alors commence un nouveau théâtre tout profane. Les saints et les martyrs s’éloignent peu à peu de la scène, les héros grecs et romains y abondent. Le changement est encore plus grand dans la manière de traiter les sujets que dans les sujets mêmes. Tout est réglé sur le patron de la tragédie grecque ; les sujets sacrés sont traités d’après l’art antique, et au lieu de la confusion vivante des vieux mystères, le théâtre prend une régularité savante. Au XVIe siècle, dans la poésie française, il y a peu de drames sacrés, mais il y a dès ce moment et jusqu’au XVIIIe siècle un théâtre latin très abondant qui reste fidèle au drame religieux, quoiqu’il le soumette aux règles de l’art antique. Ce théâtre, renfermé dans les collèges et fort oublié aujourd’hui, ne mérite pas cependant l’obscurité où il est tombé. Les jésuites sont les poètes les plus féconds et les plus habiles de ce théâtre.

Viennent enfin les pièces saintes du XVIIe siècle, parmi lesquelles on peut distinguer deux genres différens : les pièces de Corneille et de ses prédécesseurs ou de ses contemporains, les pièces de Racine et de ses successeurs.


III

L’impassibilité des saints et des martyrs se prête peu à l’action dramatique, et Corneille a raison de dire, dans l’examen de Théodore, « qu’une vierge et martyre sur le théâtre n’est autre chose