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de parti produit les mêmes effets que la peur. C’était jadis entre les journaux un échange de récriminations trop fondées sur la partialité du compte-rendu des chambres. À plus forte raison pouvaient-ils s’accuser de partialité dans tous les autres genres d’information. Les affaires judiciaires, qui occupent une si grande place dans la presse anglaise, ne reçoivent chez nous qu’une publicité restreinte et incomplète. La lumière n’a pénétré qu’à demi, et comme à regret, dans nos tribunaux, et les lois récentes qui interdisent le compte-rendu des débats dans un certain nombre d’affaires, et qui permettent aux tribunaux d’interdire ce compte-rendu pour toutes les autres, n’ont rien d’antipathique à nos mœurs. Toujours préoccupés de nos vues générales et des grands intérêts de nos différens partis, nous n’éprouvons point dans le détail cette faim et cette soif de publicité qui rendent le secret et le mystère intolérables à nos voisins, principalement en ce qui concerne l’administration de la justice. Il y a plus, les procès importans dont les détails sont abandonnés à la publicité échappent à la discussion publique, et il est admis que la presse n’a point le droit d’en tirer un utile enseignement. Rien n’est plus curieux que l’attitude des journaux français en face de quelque procès important et digne d’occuper l’attention du pays. Avant que les débats soient ouverts, on dit : La justice est saisie, il faut attendre qu’elle prononce. Pendant les débats, on se garde, suivant la maxime reçue, d’aggraver par des considérations intempestives la situation des parties ou des accusés. Lorsqu’enfin le jugement est rendu, on retrouve jusqu’à un certain point la parole, si on veut le louer, ce qui n’est point d’une grande utilité ; mais si on le désapprouve, il est admis qu’on doit se taire par respect pour la justice, si bien qu’on arrive ainsi au bout des affaires les plus importantes sans que la presse ait pu contribuer en rien à former sur ces affaires le jugement du public. Encore moins la presse française est-elle en état d’exercer, comme en Angleterre, quelque action sur le cours des débats, et d’y reprendre publiquement, sous sa responsabilité envers ceux qu’elle accuse, les illégalités, les abus de pouvoir, les fausses démarches des témoins ou des juges. Et cependant les tribunaux anglais, où le jury décide de tout, où l’accusé ne peut être interrogé, où les témoins sont interrogés par les avocats des parties, pourraient se passer, plus aisément que les tribunaux d’aucun peuple, de ce libre contrôle.

Incomplètement informée des affaires du dehors et de celles du dedans, peu au courant des affaires judiciaires et impuissante à les contrôler, la presse française ne souffre pas davantage la comparaison avec la presse anglaise en ce qui touche la protection des intérêts particuliers et l’expression des opinions individuelles. Vous ne trouverez point dans nos journaux ces plaintes, ces récits, ces réflexions,