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veille; puis la pensée lui vint qu’il apportait une mauvaise nouvelle, elle fut prise d’un tremblement nerveux. — Vous savez quelque chose? dit-elle.

— Rien, sinon que vous êtes seule : c’est ce qui m’a donné l’idée de partir; avant de réfléchir, j’étais en route.

Rassurée à demi, Madeleine interrogea Paul, et le conjura de parler franchement. Il avait rencontré Urbain assis devant la porte d’un café. Il était avec deux autres personnes qui fumaient et portaient des paletots râpés aux coudes. D’après ce qu’on lui avait dit, Urbain était attaché en qualité de chef d’orchestre à la Charmille des Rosiers. Il touchait mille écus par an, avait le droit de faire des valses et des mazurkas.

— Ah ! mon Dieu ! si le bal vient à manquer! dit Madeleine. Paul regarda le père Noël; ils pensaient tous deux que le chef d’orchestre n’attendrait pas si longtemps.

Ce qu’elle apprenait de la nouvelle situation d’Urbain avait rejeté Madeleine dans ce malaise et cet ébranlement général qu’elle éprouvait au moment où le père Noël était venu l’arracher de Paris. Elle s’efforçait néanmoins de cacher son état à tous les yeux. L’insomnie la consumait. La présence de Paul lui apporta une consolation au moment où elle l’espérait le moins; elle ne lui en fit pas mystère et le supplia de rester quelque temps à Blois. Paul se garda bien de refuser. Les petits voyages qu’on faisait aux environs, et qui parfois se prolongeaient un jour ou deux, étaient pour Madeleine une cause de grandes distractions; le père Noël en était toujours, et entre ces deux amis qui la chérissaient, elle éprouvait ce bien-être et ce soulagement qu’on goûte, après une grande fatigue, dans un bain tiède : son cœur s’y délassait.

La fuite d’Urbain avait fait une certaine sensation à Blois. Les visites ne manquèrent pas chez Madeleine. On voulut savoir la cause de ce brusque départ, on l’accabla de questions frivoles, où perçait la curiosité la plus impertinente. Madeleine se contenta de répondre qu’Urbain était parti pour affaires. Personne n’en crut un mot, mais quelques bonnes âmes lui en voulurent de sa discrétion, et rapportèrent que Mme Lefort n’avait pas besoin d’amies pour se consoler. Elles soulignèrent le mot en parlant, et ce furent alors mille chuchotemens qui allèrent de la rue du Pont à la place des Jésuites. — Nous n’irons plus chez elle, dit une personne charitable; nous pourrions peut-être la déranger. — L’une avait vu Paul dans le jardin de Madeleine; l’autre l’avait rencontré dans la rue des Fossés. Il était clair que Paul ne la quittait pas. Le nom de Paul revenait dans toutes les conversations. Et il était journaliste!

Une après-midi que Madeleine était chez sa mère, elle y trouva