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La nuit était venue quand Urbain se sépara de son ami Bergevin. Tout ce qu’il avait entendu bourdonnait dans sa tête comme un essaim de mouches. Par un travail singulier de sa pensée, il en était arrivé à croire que sans Madeleine l’argent dépensé dans son ménage aurait pu le mener à la fortune. Il oubliait que cet argent lui avait été apporté par Madeleine, et que seul il l’avait follement gaspillé. Il prit le plus long pour rentrer chez lui, se raffermissant dans sa résolution par de magnifiques raisonnemens. Il était clair qu’on avait brisé sa carrière. Bergevin était venu à propos pour le tirer du sommeil où son génie s’engourdissait. Il trouva Madeleine qui l’attendait pour dîner. — Tiens, dit-elle, voici un bouquet que Louison t’a fait.

Il prit le bouquet et s’assit. Il ne put rien manger et se retira de bonne heure, prétextant un grand mal de tête. Madeleine l’entendit marcher quelque temps dans son cabinet, ouvrir et fermer la fenêtre, puis il se coucha. Dans la matinée, il profita d’une course qui retenait Madeleine dans le voisinage pour faire un paquet de son linge et de ses habits qu’il envoya à l’Hôtel d’Angleterre. Pendant le déjeuner, il fut très agité, avec des accès de gaieté qui lui venaient par bouffées. Il prit un instant Louison sur ses genoux et devint très pâle en l’embrassant. Il joua quelques minutes avec elle et la posa brusquement à terre ; il avait une larme dans les yeux et se détourna pour l’essuyer. Quelque chose sur quoi il ne comptait pas le remuait. Il prit son chapeau et sortit en sifflant.

Le soir, un garçon de l’Hôtel d’Angleterre apporta une lettre pour Mme Urbain Lefort. Madeleine la trouva en revenant de chez sa mère. Elle poussa un cri dès les premiers mots et courut chez le père Noël. — Lisez ! que faut-il que je fasse ? lui dit-elle quand elle vit le papier où Urbain annonçait son départ tomber des mains du vieillard.

— Reste ! s’écria-t-il avec violence.

— Ah ! reprit-elle en sanglotant, si je reste, c’est comme s’il était mort pour moi.

— Mort ! plût à Dieu qu’il le fût !


IX.

À quelque temps de là, Madeleine reçut une lettre, timbrée de Paris, par laquelle Urbain lui faisait part de ses nouveaux projets. Il travaillait, il faisait un opéra qu’il avait l’espoir de faire représenter prochainement. Tout autre détail manquait. Le père Noël envoya aux renseignemens ; mais, avant que la réponse arrivât, Madeleine fut surprise un matin par Paul Vilon, qu’aucune lettre n’avait précédé. Elle lui tendit la main comme si elle l’avait vu la