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couragea pas, elle employa mille charmantes coquetteries pour amener son mari à reprendre la plume, et un moment elle put croire qu’elle avait réussi. Urbain ne sortit pas, et il travailla même pendant quelques heures. Madeleine battait des mains. Quand il quitta le piano et la plume, elle l’embrassa, tout illuminée d’une joie folle. — J’ai bien le droit de t’inviter à dîner. Allons à la campagne, cela te reposera, dit-elle.

Urbain accepta. Elle profita de ce bon mouvement pour le gronder, avec mille gentillesses, de l’oubli qu’il faisait du monde, où autrefois il allait trop. Il ne fallait pas tomber d’une exagération dans une autre. Certaines relations étaient à ménager : Paul Vilon, qui avait quelque influence ; une sœur de Mme de Boisgard, Mme de La Chable, à laquelle il avait été particulièrement recommandé. Le soir, il se montrerait dans un salon ou deux, le matin il travaillerait, et il lui resterait bien encore deux ou trois heures par jour pour voir ses amis. En six mois de cette vie, il aurait pris une bonne place dans l’estime de tous, et Sardanapale serait achevé. — Tu as raison, dit Urbain, entraîné par ce langage plein d’onction et de chaleur. C’est un homme nouveau que tu vas voir. — Il lui pressa tendrement le bras et se mit à causer avec un abandon qu’il ne montrait pas depuis longtemps. Jamais journée ne parut plus belle à Madeleine ; ils dînèrent ensemble à Asnières et revinrent en causant par les bords de la Seine jusqu’au pont de Neuilly. La soirée était calme, les étoiles tremblaient dans le lit du fleuve, où se reflétait la longue tige des peupliers. Madeleine se souvint de la Loire et du père Noël. « S’il nous voyait, pensa-t-elle, il serait content. » Toute crainte s’était alors dissipée ; elle voyait l’avenir comme son amour et Urbain le lui montraient.

Le lendemain, Urbain se rendit chez Paul Vilon pour l’engager à dîner. Paul se souvint de Madeleine, qui lui plaisait ; il accepta. Dans la soirée du même jour, Urbain exécuta bravement chez Mme de La Chable un petit nombre de compositions rapportées de Blois. Le fils du mercier avait le sentiment de l’expression musicale ; sans avoir beaucoup de voix, il chantait avec goût, et surtout avec un certain élan qui fondait la glace habituelle d’un salon. Exalté par sa récente conversation avec Madeleine, il voulut plaire et réussit. Plusieurs invitations lui furent adressées coup sur coup. Il les accepta toutes, et pendant quinze jours il s’habitua à ne rentrer qu’à trois heures du matin. Ce n’était pas là précisément ce que Madeleine aurait voulu. Il y avait rechute, et non pas guérison.

Urbain revint un soir fou de joie. M. Le duc de R… L’avait invité à prendre le thé chez lui. — Est-ce le directeur de l’Opéra ? demanda Madeleine avec une feinte naïveté.