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avait été d’appeler à y concourir un ami dont il savait que le dévouement ne pouvait lui faire défaut. Sur sa demande, M. de Terrasson, major des vaisseaux du roi, avait obtenu le commandement de la Durance. Unis par les liens d’une vieille et intime affection, également dignes d’estime, ces deux officiers avaient eu des fortunes diverses. M. de Terrasson avait marché d’un pas moins rapide dans sa carrière ; il n’en était que plus désireux de partager l’honneur et les dangers auxquels une amitié fidèle avait voulu l’associer. Toute son ambition était de justifier cette flatteuse confiance. Le troisième rang dans l’expédition appartenait à M. de Mauvoisis, lieutenant en pied de la corvette la Truite, dont M. de Bretigny, qui n’était encore que capitaine de vaisseau, devait exercer en personne le commandement. Sans sa jeunesse et son grade inférieur, M. de Mauvoisis eût pu figurer avec éclat au premier rang, car il sortait de vieille souche et possédait toutes les qualités qui font le grand homme de mer. Son esprit altier prenait cependant trop peu de soin de dissimuler le double orgueil que lui inspiraient la conscience de son mérite et l’ancienneté de sa race. Il pouvait résulter de cette fâcheuse disposition quelques froissemens entre le lieutenant en pied de la Truite et ses compagnons de voyage ; on n’avait point à craindre heureusement qu’il refusât jamais de s’incliner devant les cheveux blancs de son chef et devant cette noble vie consacrée tout entière au service de la France.

Lorsque les corvettes furent en rade, on n’y remarqua point sans quelque inquiétude un excessif encombrement. Il était douteux qu’elles pussent, dans un pareil état, essuyer impunément la moindre bourrasque. La Durance, en particulier, semblait bien loin de posséder toute la stabilité désirable. On se flatta néanmoins que nos consommations journalières, en allégeant les corvettes, leur rendraient bientôt les qualités nautiques qui, en ce moment, paraissaient tout à fait leur manquer. Le beau temps et les vents favorables qu’on attendait pour sortir du golfe de Gascogne s’étant présentés dans les derniers jours du mois de septembre 1791, les corvettes se hâtèrent de lever l’ancre, et un vent d’est assez frais les poussa rapidement en dehors de l’Iroise. Dès qu’elles furent au large, M. de Bretigny ouvrit des dépêches qui lui avaient été remises ; avec l’ordre de n’en prendre connaissance qu’à la mer. Il y trouva son brevet de contre-amiral, et pour MM. de Terrasson et de Mauvoisis le brevet de capitaine de vaisseau.

Notre traversée jusqu’aux Canaries fut constamment favorisée par le vent. Aussi ne nous fallut-il que quinze jours pour l’accomplir, quoique nos corvettes se fussent montrées d’une lourdeur vraiment désespérante, et que les plus belles brises n’eussent pas réussi à