Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’habitude dans l’isolement, peut-être n’eût-il jamais rien deviné, si Madeleine ne lui avait pas tout avoué. C’était un matin qu’elle avait le cœur gros, et l’on peut ajouter qu’elle l’avait eu ainsi dès les premiers jours. La fête d’Urbain était arrivée la veille : Madeleine n’avait pas manqué de lui envoyer un gros bouquet noué par un ruban qu’elle portait au cou, et que son ami lui avait demandé. Le lendemain, saisissant au hasard un prétexte, elle courut chez son tuteur pour voir Urbain. Urbain n’y était pas; le bouquet était par terre dans la chambre, et le ruban traînait sur un meuble. Madeleine, tout essoufflée, resta sur la porte. Le père Noël la surprit. — Qu’est-ce? dit-il.

— C’est mon bouquet, dit Madeleine.

— Eh bien ?

— Et le ruban! il ne l’a pas même emporté...

— Qu’est-ce que ça te fait?

— Comment, ce que ça me fait!... Mais si j’avais quelque chose de lui, moi, est-ce que je le quitterais jamais?

Cela dit, Madeleine rougit jusqu’à la racine des cheveux. Le père Noël la prit par les épaules : — Ça! dit-il, est-ce que par hasard?..

— Eh bien ! oui, répondit Madeleine ; c’est depuis les vendanges, au temps où il toussait, vous savez ?

Le père Noël ne fut que médiocrement satisfait de cette confidence. Depuis que son élève vivait dans son intimité, il avait pénétré ce caractère dans sa plus secrète profondeur avec une finesse que bien des gens, qui le voyaient silencieux, ne lui supposaient pas. Madeleine s’assit en face de lui et raconta tout. Le père Noël se frappa le front. — Ah! dit-il, que n’as-tu parlé plus tôt?

— Qu’auriez-vous donc fait, père Noël?

— J’aurais mis cent lieues entre vous !

— Et les chemins de fer ? dit Madeleine en riant.

Dès ce moment, le père Noël trembla pour l’avenir de sa pupille; mais ses conseils et ses remontrances ne purent rien contre un mal qui avait jeté des racines déjà trop vigoureuses.

La dissimulation était une des choses qui répugnaient le plus à Madeleine. Un moment de franchise l’avait dégagée de la contrainte qu’elle éprouvait auprès du père Noël ; vis-à-vis de la mère Béru, son embarras continuait. Un soir qu’elle était rêveuse au coin du feu, les mains sur ses genoux, l’esprit perdu dans les chimères, et la tête inclinée sur la poitrine, sa mère la prit brusquement par le menton.

— Voyons! qu’as-tu? lui dit-elle, tu as les yeux rouges, et voilà trois fois que je t’appelle sans que tu répondes.

Le cœur de Madeleine déborda comme un vase trop plein. — J’ai, dit-elle, que je pense à Urbain Lefort, et que je songe à l’épouser.

Mme Béru laissa tomber l’écheveau de laine qu’elle dévidait.