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promenades, qu’il faisait seul le soir sur les bords de la Loire. Comme on connaissait son humeur taciturne, personne ne l’arrêtait jamais. Il allait d’un pas méthodique, les mains au fond de ses poches, comme un philosophe qui médite ou un paresseux qui rêve.

La maisonnette occupée par le père Noël n’avait qu’un étage au-dessus du rez-de-chaussée. Il y avait en bas la cuisine et deux pièces, dont l’une servait de salle à manger; dans l’autre, on serrait les provisions. Les chambres à coucher étaient au-dessus, séparées par un grand cabinet tout rempli de livres. Celle du père Noël était la plus large. Quelques vieux meubles d’un beau style en bois gris la garnissaient; des instrumens de musique étaient accrochés aux murs çà et là; en face du lit à baldaquin, qui s’élevait jusqu’au plafond, on voyait deux beaux tableaux de saints, dont la sombre couleur et l’expression vigoureuse rappelaient l’école espagnole, et entre eux le portrait d’un colonel des dragons de la garde en grand costume militaire. Une certaine ressemblance existait entre le père Noël et ce portrait, balafré d’une cicatrice au front. La chambre d’Urbain, plus petite, était plus coquette. Un piano était dans un coin, une commode à ornemens de cuivre et à pieds tordus dans un autre; une jolie pendule en marqueterie sonnait les heures sur la cheminée entre deux vases du Japon. Des aquarelles, des gravures, des statuettes, des fleurets, un masque de combat, faisaient le tour de la tapisserie. Un grand fauteuil de cuir était devant la fenêtre, où flottaient des rideaux de perse.

Sauf le bruit du piano, un grand silence régnait dans la maison. Souvent, tandis qu’Urbain jouait, le père Noël se promenait dans le jardin, qui était un peu sauvage. Son pas régulier faisait crier le gravier à temps égaux. Quand il était las de se promener, il prenait un livre et lisait jusqu’au soir. Trois fois par semaine, l’organiste travaillait avec Urbain, à qui il enseignait la composition. De gros vieux bouquins et des cahiers de musique encombraient le parquet ces jours-là. Ces leçons mettaient le père Noël en verve; la nuit venue, il courait dans sa chambre et se plongeait dans l’étude des vieux maîtres. — Est-ce beau! s’écriait-il quand il avait exécuté un morceau de Sébastien Bach ou de Handel. — Certainement, répondait Urbain, qui n’avait écouté que d’une oreille.

Aucun lien de parenté n’existait entre le vieillard et le jeune homme, bien qu’une certaine familiarité qu’on remarquait dans leurs rapports de tous les instans eut pu faire croire qu’ils étaient l’un le père et l’autre le fils. Le père Noël était le professeur, et Urbain l’élève seulement, mais un élève auquel le père Noël avait ouvert sa maison, et qu’il traitait comme son enfant. Il s’était mis en tête d’en faire un musicien de premier ordre et n’épargnait rien pour arriver à ce résultat, au sujet duquel, il faut bien le dire, Urbain et le père