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terre les plus répandues en France, celle qui occupe près de 2 millions d’hectares sur les 20 millions d’hectares cultivés[1], celle qu’à toute époque, on a considérée comme la plus essentiellement nationale, a depuis longtemps déjà perdu le nom de culture pour s’appeler l’industrie viticole. Et ce n’est pas dans un simple intérêt de discussion que nous mettons ce fait en relief en rappelant la théorie qu’il confirme ; c’est parce que du fait et de la théorie nous semble se dégager la plus nette démonstration de ce qu’est aujourd’hui la constitution de la propriété coloniale, la plus sensible aux esprits ’ qui ne peuvent regarder qu’en passant à ces matières. Nous dirons donc qu’étant donné le sol colonial actuel, le travail africain à jamais affranchi, et un courant d’immigration suffisamment alimenté pour suppléer à ses défaillances, la possession d’une sucrerie aux colonies nous semble presque identiquement répondre à celle d’un grand vignoble du Médoc ou de la Bourgogne. Nécessité d’un capital d’exploitation considérable, éventualités résultant de circonstances atmosphériques, éventualités résultant de l’abondance ou de la rareté de la denrée sur le marché, prélèvement notable en faveur du fisc, tout semble avoir été combiné par la nature et par les hommes pour arriver à la plus parfaite analogie économique.

La vérité des faits et des principes une fois rétablie, on voit les dissemblances se perdre dans le lointain et le champ de l’assignation s’agrandir. Ainsi on nous permettra de n’attacher qu’une importance très secondaire à l’une des données produites dans l’étude de la question faite à la Martinique, et que devait naturellement relever le gouverneur du crédit foncier de France, à savoir « que l’on ne peut vendre 100,000 francs un immeuble colonial d’un produit de 25,000 francs, si l’adjudicataire n’a plusieurs années pour le payer, et que, pour en obtenir 250,000 francs, il faut lui accorder cinq années pour le payer par quarts. » En admettant même sans discussion un fait qui a peut-être été grossi[2], il ne faudrait pas en demander l’explication à des causes normales et en quelque sorte endémiques à la société coloniale, telles que la rareté ou l’exportation de l’épargne, le loyer élevé de l’argent, etc. Non, l’abondance ou le resserrement du capital, que les colons sont trop sujets

  1. Voyez Moreau de Jonnès, Statistique de l’agriculture de la France.
  2. Des faite plus récens viennent même le contredire, comme le prouve ce passage d’un journal de la Guadeloupe, l’Avenir, du mois de novembre dernier : « Un événement de la plus haute signification vient d’avoir lieu au tribunal civil de cette ville. L’habitation Acomat, au Moule, était licitée en adjudication publique ; elle vient d’être, le 29 octobre, adjugée pour le prix de 131,000 francs, en sus de 10,000 francs au moins de frais. Il y a quatre ans à peine, cette même habitation, vendue au même tribunal, avait été adjugée pour 29,000 francs. Voilà des chiures d’une extrême éloquence, surtout lorsque l’on saura que ce n’est pas un créancier qui achète pour se remplir ; l’acquéreur paiera son prix en argent, sans aucune compensation. »